De la conversation, l’Elysée a retenu un « processus de décivilisation » pour expliquer les violences, les incivilités croissantes dans la société française. Les premiers commentaires journalistiques ont situé l’emprunt dans la mouvance d’extrême droite en citant son idéologue Renaud Camus. Heureusement si l’on peut dire, des commentateurs plus instruits ont relié l’expression sociologue classique de Norbert Elias. Le Monde (27 mai 2023) a publié un compte rendu indiscret du déjeuner qui a cet avantage de nommer le passeur d’un concept sans épaisseur et donc réduit à un gadget communicationnel : un sondeur qui a associé le concept au monde de l’opinion. Rien de plus étranger à Norbert Elias. Mais ainsi en va-t-il du succès intellectuel dans la sphère politique. Ce n’est pas la seule appropriation erronée.
Si on étudie Norbert Elias comme de vrais sociologues, on sait que le sociologue, juif allemand et exilé en 1933, penseur du processus long de civilisation s’était arrêté devant son inverse qu’avait constitué la nazification de l’Allemagne. On pourrait résumer en disant qu’il en voyait deux ressorts, la déliquescence de l’Etat incapable d’assumer le monopole de la violence politique légitime face aux milices armées, et à la radicalisation violente des groupes d’extrême droite pour l’essentiel. Autrement dit, c’est une imposture pour l’extrême droite d’accaparer le « processus de décivilisation » puisqu’il les met en cause au premier chef. L’exigence de rigueur intellectuelle n’a il est vrai jamais caractérisé les penseurs, si l’on peut dire, de cette orientation politique. Mais la Présidence de la République ajoute sa propre instrumentalisation en désignant ce qu’on a appelé aussi « brutalisation « (George Mosse, un autre exilé allemand observateur de la république de Weimar) dans l’évolution de la conduite des dominés. C’est en effet l’évolution de l’Etat et sa décomposition qui permettent au premier chef de nourrir un processus de décivilisation. On doute qu’Emmanuel Macron ait conçu l’emprunt sociologique comme un cas de conscience ou une autocritique.