observatoire des sondages

Insondable imbroglio

mardi 24 septembre 2024

« Le peuple anglais pense être libre ; il se trompe fort, il ne l’est que durant l’élection des membres du Parlement : sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien. Dans les courts moments de sa liberté, l’usage qu’il en fait mérite bien qu’il la perde » (Contrat social, livre III). La célèbre flèche de Jean-Jacques Rousseau ne vise plus seulement les Anglais depuis que d’autres pays comme la France confient aux élections la désignation de leurs dirigeants ; Elle peut même s’étendre à toutes les fonctions politiques élues et pas seulement aux parlementaires. Rousseau avait d’ailleurs une image peu réaliste du régime parlementaire anglais du XVIIIe siècle où le corps électoral censitaire était très faible à peine plus de 1% de la population. Imbroglio est un mot poli pour désigner une situation pour laquelle la langue vulgaire ne manque pas de mots. C’est bien la situation qu’a créé de toutes pièces le Président de la République française dont on pourrait dire que comme un garnement, il n’en fait qu’à sa tête.

En provoquant des élections qu’il ne pouvait que perdre, il a ouvert un long cortège d’interrogations pour les analystes d’aujourd’hui et du futur. Il a engendré aussi un doute sur le caractère démocratique d’un régime où un homme seul peut autoritairement mettre tout le monde dans l’impasse. Quelle lecture faire des institutions dans ce cas où aucune majorité n’existe à l’Assemblée ? Des partis ont fait valoir qu’ils avaient une majorité relative et que le gouvernement devait leur revenir. Une lecture partisane pourquoi pas mais sans base constitutionnelle. Il n’y a de majorité qu’absolue pour voter un budget, une loi ou une motion de censure. D’autres soutiennent qu’une fois l’élection passée, il revient au Président et aux chefs de partis quels qu’ils soient à nouer des coalitions quelles qu’elles soient. Il n’y a pas de vérité constitutionnelle en la matière heureusement fort rare. Dans tous les cas, les chefs politiques font bon marché du vote. Certes, il est difficile d’interpréter des mouvements collectifs comme une élection au suffrage universel. L’exercice est devenu banal aux commentateurs mais repose largement sur une dépossession démocratique. On la voit plus ou moins bien selon les cas mais cette fois, elle est éclatante. Pour accentuer encore le Président a utilisé les manœuvres et les délais au-delà de la pratique de la République donnant l’impression qu’un Président associé à un gouvernement expédiant les affaires courantes pourrait être de son goût. Il y avait et il reste un parfum d’abus et peut-être même de coup d’Etat. La situation deviendrait-elle critique, comme le serait une simple démission du nouveau gouvernement, quelle issue aurait cette crise inédite ?

Dans cette situation d’incertitude, où la volonté populaire est soit indéchiffrable, soit contradictoire, soit inefficace, on peut s’attendre à un flux continu de sondages pour explorer les intentions de vote aux futures élections (cela a commencé), les cotes de popularité des chefs politiques, les opinions sur les démissions ou destitutions, etc. Ce sera un grand paradoxe puisqu’on va invoquer une opinion des sondages après avoir révoquée celle des urnes. Un peuple de sondés aurait-il plus de chances d’être entendu qu’un peuple d’électeurs ? Emmanuel Macron n’a pas écouté le peuple sondé pour dissoudre l’Assemblée nationale, il n’a pas écouté le peuple d’électeurs ensuite. Il n’est pas sûr que les Français se pensent si libres. Ce n’est pas une expérience originale mais comme on l’a vu dans d’autres cas d’instabilité politique et de dépossession démocratique accrue, les alternatives autoritaires deviennent séduisantes à plus d’électeurs et à plus d’élus. Sans doute les Français sont-ils intéressés par le spectacle. Combien de temps ?

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