Après les sondages sur le suicide et les adhérents du FN pour la Fondation Jean Jaurès [1] (12 septembre et 7 septembre 2016), l’IFOP s’’est intéressé aux “musulmans vivant en France” pour l’Institut Montaigne [2] (19 septembre 2016).
Au final l’objet importe peu, la méthode ne change pas (celles des études de consommateurs) qui repose toujours sur l’auto-déclaration des sondés. Est définit ici comme musulman : “celui qui dit qu’il l’est”. Grand principe des sondages : faire confiance. Illustration avec la fréquence de la prière présentée comme un indicateur de l’intensité de la foi et de l’attachement à la religion. Si 30% des sondés (se déclarant musulmans) ne fréquentent jamais de mosquée la moitié d’entre eux affirment respecter l’usage des 5 prières par jour. Où prient-ils et comment prient-ils, on le ne saura pas. La fréquence de la prière est une indication peu significative de la "religiosité" d’un croyant qui plus est auto-déclaré.
Les questions ont été posées par téléphone, il n’est pas si certain que le téléphone permette à des gens de s’exprimer sincèrement sur des sujets très intimes et soulevant aujourd’hui tant de passion. L’interrogation en face-à-face eut été beaucoup plus adaptée. Plus chère sans doute. Mais le sujet n’en vaut-il pas la peine ? L’entretien pourrait permettre encore de comprendre les sens de réponses lapidaires qu’impliquent les sondages par téléphone. La conclusion qui donne le titre du rapport sur un islam français possible semble plus fondée sur la force relative - les pourcentages - de chacun des groupes que sur leur relation avec la société. Il faut se contenter de peu là-dessus.
Le sujet est délicat, on le sait, aussi le responsable de l’étude assure-t-il que "dans un souci de transparence, nous publions l’ensemble des procédures techniques employées à chaque étape" [3]. Il n’a toutefois pas jugé bon de joindre l’intégralité du questionnaire. Mais cela ne semble insuffisant puisqu’il rajoute : "Il existe bien évidemment d’autres méthodes et d’autres choix statistiques, qui pourraient donner lieu à des résultats différents”. Autrement dit “chacun fait ce qui lui plait”.
Curieuse conception du travail scientifique qui une fois encore n’a pas empêché la presse de s’en faire largement l’écho, agrémenté çà et là des poncifs habituels des sondeurs pour faire "passer" les biais de l’enquête [4] : "Un sondage n’est jamais une prédiction, c’est en effet une photographie (...). Il faudrait des analyses sociologiques plus approfondies pour avoir une vision plus fine" (« Rapport de l’Institut Montaigne : Des informations précieuses sur les valeurs des musulmans vivant en France » Le Monde, 19 septembre 2016).
En soulignant ses limites, cette enquête a donc au moins un mérite. Voilà un sujet particulièrement sensible depuis plusieurs décennies et il faut un think tank pour produire une étude dont on ne saurait dire qu’elle est à la hauteur de l’enjeu. N’existe-il pas une institution publique pour lancer ce genre d’enquête utile au bien public ? Le CNRS est certes une machine bien lourde. On objecterait encore des restrictions légales devenues absurdes. Beau nouvel exemple de l’impéritie d’une recherche bureaucratisée qui oublie sans cesse le mot d’ordre d’un de ses fondateurs selon lequel "notre science ne mériterait pas une heure de peine si elle ne servait à quelque chose". Il y a pourtant eu des études classiques sur les pratiques religieuses des catholiques [5]. Cela n’intéresse donc plus personne ? N’y a-t-il pas d’argent ? Pour mener une véritable enquête scientifique sur la sociologie de l’islam ?