On savait depuis quelques mois que la descente aux enfers sondagiers de Nicolas Sarkozy serait suivie d’une lente remontée annoncée comme une reconquête. Le "plan com" ne faisait aucun doute : un storytelling agencé par la cellule communication de l’Elysée et les sondeurs. Nous y sommes et le produit porte la trace d’une écriture à plusieurs, collective faudrait-il dire. Pauvre mythe de l’auteur solitaire face à la feuille de papier blanc ou à l’écran noir. Il y a du monde autour.
En lisant ces papiers écrits à plusieurs mains, le lecteur s’emporte parfois en voyant une opération d’agit-prop. Il est plus probable que conformément aux analyses de la sociologie des médias, il faille voir les effets d’interdépendance qui apparentent une bonne partie du travail journalistique au journalisme embarqué des temps de guerre. Pour un peu, on dirait que tout journalisme, en temps de paix aussi, est embarqué dans une relation d’échanges et d’intérêts bien compris. Pas d’informations sans renvoi d’ascenseur. Les journalites parleront plutôt d’angle pour rendre compte de l’orientation de leur papier. Jugeons plutôt sur pièces quand arrive enfin le scenario annoncé depuis plusieurs mois et concocté dans les chaudrons de la communication.
Dans son édition du 11 juin 2011, Le quotidien Le Monde a publié l’article attendu sur la remontée de Nicolas Sarkozy sur le mode de la bonne nouvelle : « La vrille est enrayée » décrète-t-il, confirmé à un mot près par l’Ifop « La baisse est enrayée » (Frédéric Dabi, Ifop). Et d’égrainer les résultats des dernières livraisons de juin des sondeurs, enregistrant un gain de quelques unités de la popularité présidentielle. Le quotidien insiste, la nature de cette embellie serait attestée par l’amélioration des derniers scores d’intentions de vote en faveur de Nicolas Sarkozy par rapport à ses adversaires socialistes Martine Aubry et François Hollande (cf. Marianne-Harris Interactive, 10 juin 2011). Un véritable coup de force, tant en termes de présentation des résultats que dans leur interprétation, sans prendre en considération les différences de méthodes d’enquêtes (téléphone, face à face, internet). L’idée que les cotes de popularité, question de leur intérêt et de leur signification mise à part, puissent se traduire éventuellement dans des intentions de vote n’est pas en soi une aberration, mais la transposition des variations, pour ne pas dire des soubresauts, relève d’une étrange naïveté ou d’une grande ignorance. Les sondeurs eux-mêmes rappellent régulièrement que les sondages d’intention de vote ne sauraient être comparés avec les cotes de popularité. Pas cette fois.
Tout va dans un sens. On appelle cela un angle si on en croit les commentateurs. Le journaliste se garde donc de rappeler les chiffres de la défiance des sondés à l’égard de Nicolas Sarkozy (entre 60 et 76% ). Que signifient alors des oscillations faibles, prévisibles et à l’intérieur des marges d’erreur, prises en comparaison du seul mois précédent ? Plus discutable est le choix de faire de cette progression le signe avant coureur du rétablissement de Nicolas Sarkozy alors que les scores des deux principaux adversaires socialistes enregistrent eux aussi une progression. Tous gagnants en somme. Mais le fait ne retient pas l’attention. Une question d’angle sans doute.
Le tableau ne serait pas complet sans la parole des sondeurs. En attendant mieux, le directeur adjoint de CSA voit ainsi Nicolas Sarkozy quitter « l’impopularité record » pour entrer dans « l’impopularité profonde ». Une subtilité de deux points. L’affaire DSK ne s’est-elle pas traduite en évolution de l’opinion ? Il peut corriger le point de vue antérieur émis sans chiffres : ce n’était pas un « poison lent, mais pour l’instant, c’est une construction intellectuelle. En tant que sondeur, je n’en ai pas la traduction » (cf. Sondeurs sachant sonder sans sondages). On comprend qu’un responsable de TNS Sofrès relativise la situation en affirmant « qu’il y a encore du boulot » s’il n’a d’autre élément positif à citer pour le président sortant que le grand emprunt. Combien de sondés en savent-ils quelque chose ? Gageons que les sondeurs sauront les faire parler. Il y a donc encore beaucoup de boulot. Plus décisif sans doute, selon Le Monde, qui reprend un autre élément de la communication élyséenne, dont on parle beaucoup sans avoir bien vu le phénomène, « les indicateurs économiques sont plutôt positifs... le bilan du quinquennat devient plus défendable ». Il ne reste plus au quotidien qu’à gratifier Nicolas Sarkozy d’un satisfecit sur sa vie privée et sa discrétion concernant la grossesse de son épouse, oubliant que d’autres ont été chargés opportunément d’entretenir le « mystère ».
« Le match n’est plus joué d’avance », conclut l’article. Quelqu’un l’avait-il dit ? La cellule de l’Elysée a bien fait son travail. A ce propos, le journaliste nous informe d’un mouvement interne à la cellule élyséenne. Un expert en sondage s’en va pour le secteur privé. Une agence qui a tout l’air d’avoir vocation à externaliser la communication à l’approche de l’échéance. L’information, cela se gagne : donnant-donnant.