observatoire des sondages

Volatilité : le retour

lundi 27 février 2012

On attendait le retour de la volatilité dans les commentaires des sondages. Les sondeurs commencent-ils à douter de résultats très divergents ? Ils ouvrent alors un grand parapluie en annonçant l’incertitude des intentions de vote due à une grande volatilité. Leurs résultats sont-ils à l’inverse trop convergents ? La course de chevaux manque alors de suspense et la volatilité vient en réinjecter un peu. En cette campagne présidentielle, les deux phénomènes se conjuguent étrangement : d’un coté des sondages nombreux qui ne disent pas tous la même chose au premier tour et de l’autre de résultats de deuxième tour cruellement stables pour le vaincu annoncé. L’incertitude du premier tour n’est pas si grande puisque tous les sondages donnent le même ordre d’arrivée même si en multipliant les propositions, et les manipulations diverses de l’offre, ils ont en partie créé leurs divergences. Par exemple, un sondage Ifop-JDD enlevait toute concurrence à droite à Nicolas Sarkozy pour le faire remonter dans les intentions de vote du premier tour sans évidemment parler du deuxième tour où les résultats n’ont curieusement pas été publiés (JDD, 4 février 2012, cf. Nicolas Sarkozy et François Hollande à égalité : une manipulation avouée). En l’occurrence, la tentative de dynamiser le spectacle s’alliait à la petite astuce politique pour aider le président sortant. Quant au second tour, l’écart annoncé ne fait encore une fois ni l’affaire du président sortant ni celle du spectacle. Une raison de plus pour introduire un peu de suspense. Au conditionnel. La volatilité du choix électoral à moins que ce ne soit celle du vote, fait donc son retour.

Ce n’est pas un hasard si un politologue proche de l’UMP l’évoque comme une hypothèse – « On ne peut pas exclure la volatilité des intentions de vote », donc prudemment, à l’inverse du titre de son interview : « Une grande volatilité des intentions de vote » (JDD, 26 février 2012). Il sera toujours temps ensuite, si les sondages se trompent encore, de dire qu’ils ne se trompent pas par définition, autre riposte des sondeurs, pour invoquer la volatilité. Un sondeur se risque à chiffrer cette volatilité. « Quand on sait que 15 à 18 % des électeurs se décident le jour du vote, 20 à 25 % dans les tous derniers jours de campagne, cela laisse de la marge » (Stéphane Rozès, Libération, 16 février 2012). On « sait », comment ? Par les déclarations des sondés évidemment. Il faut donc les croire. C’est sans doute ce qui sépare le plus radicalement les sondages de la science : la croyance dans les déclarations. Or c’est le principe fondateur des sciences sociales que de savoir que les gens ne font pas ce qu’ils disent ni ne disent ce qu’ils font, du moins pas suffisamment pour se fier directement ou naïvement à leurs déclarations. Les sondages tels qu’ils sont effectués le plus souvent et généralement commentés sont à cet égard totalement anti-scientifiques. On se demande par quelles écoles sont passés les sondeurs et les commentateurs pour n’avoir pas encore enregistré ce principe.

La volatilité est un bel exemple de cet empirisme abstrait [1] qui fait prendre les chiffres obtenus par l’enquête pour des choses forcément réelles. Contre cette sorte de dogmatic fallacy, on peut douter que les rappels soient utiles mais essayons quand même.

Il y aurait donc une importante minorité de gens qui déclarent faire leur choix le jour du vote et même dans les isoloirs. Il n’est pas interdit d’en croire certains et même certains qui ne l’ont pas avoué. Par contre, parmi ces sondés qui déclarent faire leur choix au dernier moment, il existe plusieurs catégories :

- les électeurs qui le font.
- les électeurs qui trouvent ce moyen de réserver le leur après avoir répondu au sondeur ou ne tiennent pas à livrer leur vrai choix.
- les électeurs qui croient faire leur choix au dernier moment mais qui l’ont fait sans le savoir (les sondeurs n’ont pas encore enregistré la révolution freudienne).
- les électeurs qui considèrent le choix effectué dans l’isoloir comme le plus légitime, puisque effectué dans la solitude, la réflexion et le recueillement, selon la philosophie classique du vote née au 19e siècle avec la codification du vote secret [2]. Le légitimisme est un grand biais qu’on retrouve par exemple dans la surestimation habituelle des personnes se déclarant sûres de voter parce qu’il est légitime de faire son devoir d’électeur. Les sondages annonçaient ainsi 7 millions d’électeurs à la primaire socialiste. Parfois plus. Dans ce cas, il fut possible de vérifier. Il en va différemment pour la volatilité.

Comment faire la part de ces électeurs ? Chose difficile, passant notamment par des entretiens, mais assurément pas à la portée de ces procédures parodiques des enquêtes scientifiques que sont les sondages.


[1Cf. Wright Mills, The Sociological Imagination, New York, Oxford University Press, 1959.

[2Sur cette codification et sa philosophie, nous renvoyons à notre article ancien : « Le secret de l’isoloir », Actes de la Recherche en sciences sociales, mars 1988, n° 72 et à Histoire sociale du suffrage universel en France, Paris, Seuil (Points), 2002.

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