observatoire des sondages

Vote obligatoire : les politiques en plein désarroi

vendredi 17 avril 2015

Les dirigeants politiques sont inquiets. On peut les comprendre. Ils sont de plus en plus mal élus. Même si les variations sont importantes le taux d’abstention aux élections a atteint ces 10 dernières années des niveaux préoccupants, entre 40 et 60% selon les scrutins. Seule l’élection présidentielle semble pour l’instant épargnée par la désaffection des électeurs, un processus, précision importante, entamé il y a plus de 30 ans.

Le président de l’Assemblée Nationale, Claude Bartolone, dans un rapport remis en main propre au Président de la République mercredi 15 avril 2015, propose pour lutter contre cette abstention endémique de rendre le vote obligatoire (Cf. « Libérer l’engagement des Français et refonder le lien civique », AN, page 8, 15 avril 2015). Dans le jeu des commentaires sur le sens à donner à l’abstention le secrétaire d’Etat aux relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen, favorable lui aussi à cette proposition, reprend la rhétorique habituelle de tout "bon professionnel" vivant par et pour la politique, et par et pour les élections, faisant de tous les abstentionnistes des citoyens indolents pour ne pas dire des enfants gâtés : « La démocratie ne doit pas être une valeur commerciale : on consomme ou on ne consomme pas, j’y vais si ça me rapporte. La démocratie, ce sont des droits et aussi des devoirs, des gens sont morts pour avoir le droit de vote, que l’on considère aujourd’hui avec trop de légèreté et une vision individualiste ». (Sud-Radio, 15 avril 2015).

Un commentaire d’autant plus « savoureux » que la proposition du président de l’Assemblée s’appuie sur un sondage d’Harris Interactive, l’un des premiers sondeurs avec OpinionWay en France a avoir instauré le paiement des sondés et oeuvré pour faire « capoter » la proposition de réformes des sondages, l’une de ses principales mesures visant justement à interdire la rémunération des opinions et leur marchandisation. D’ailleurs comme toute bonne société de marketing spécialisé dans l’achat et la revente d’opinion Harris Interactive sollicite régulièrement ses fournisseurs par des offres « alléchantes » cf. ci-dessous. (mail reçu par un sondé le 20 février 2015 et transmis à l’Observatoire).

Après vérification il s’avère que la somme promise est "légèrement" embellie... "bien sûr". Les 2000 euros sont à partager entre l’ensemble des gagnants au tirage au sort.

Si "l’enquête" d’Harris Interactive payée par la fondation Jean Jaurès (un think tank du Parti socialiste addict aux sondages et qui collabore généralement avec l’Ifop), ne se limite pas à la seule question du vote obligatoire mise en avant par Claude Bartolone, elle nous aura permis d’évaluer si besoin était leur niveau de « concentration », comme celui de la presse en général qui s’en est fait largement l’écho. Personne ne semble avoir été perturbé par la présence de mineurs de 15 ans et plus dans l’échantillon au vu de la question posée : "Seriez-vous favorable ou opposé au fait de rendre le vote obligatoire en France ?".

Faut-il que le « désarroi » du président de l’Assemblée Nationale soit à ce point important pour qu’il en vienne à prôner une mesure en fonction d’opinions soutirées contre rémunération, même faible, à des sondés, dont une partie est en outre exclue de droit de la mesure qu’elle souhaite voir appliquer à d’autres, en l’occurrence l’obligation de voter. Quoi qu’il en soit singulière conception de la démocratie que celle de ceux qui veulent décider sur la foi d’opinion payées de sondés en ligne non représentatifs du droit de vote de l’ensemble des Français. Quant à la conception de l’AFP et d’une partie la presse qui lui emboite le pas en annonçant que « 56% des Français approuveraient l’instauration du vote obligatoire » (AFP, 15 avril 2015), autant dire qu’ils n’ont rien compris.

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