Instituée par la loi du 19 juillet 1977, la commission des sondages est composée « en nombre égal et impair » de membres du Conseil d’Etat, de la Cour des Comptes et de la Cour de Cassation. Cela indiquait clairement qu’il s’agissait d’instaurer un contrôle juridique. Il s’agissait alors essentiellement de faire respecter l’interdiction de publication des sondages électoraux dans la semaine précédant le scrutin et de sanctionner les manipulations élémentaires des campagnes électorales. Le parti gaulliste était alors très sensible aux « bons » sondages de l’union de la gauche avant les élections législatives de 1978. Le contrôle était donc juridique et non technique et concernait l’élection seulement.
La création d’un organisme d’Etat suscitait les craintes d’un contrôle d’Etat sur l’opinion. Le gouvernement de Vichy avait bien créé une statistique d’Etat. Jean Stoetzel qui y avait travaillé, racontait que le général de Gaulle, fasciné par les sondages, lui avait proposé de créer un institut officiel de sondages. Les sondeurs prirent d’ailleurs très mal l’affaire en dénonçant une « loi scélérate ». Les compétences de la commission des sondages ne pouvaient être donc que limitées à la compétence d’Etat qu’est le droit. Et la commission s’appliqua à entretenir des relations très cordiales avec les professionnels du sondage. Il n’y eut donc jamais de sanction, presque pas de publications d’une « mise au point ». En 2002, l’interdiction de publier fut ramenée à l’avant-veille du scrutin. Autant dire qu’il ne restait plus guère à la commission des sondages que sa deuxième fonction de contrôle de qualité. D’ailleurs, une disposition de la loi du 19 février 2002 adjoignait deux experts aux hauts fonctionnaires de la commission. Les nominations ultérieures donnèrent plus de précision à ce qu’on entendait par experts puisque furent ensuite nommés un spécialiste de droit constitutionnel et une spécialiste de sociologie électorale. Aujourd’hui, les experts sont une statisticienne et un juriste. Quant au travail de contrôle de qualité des sondages, il est effectué par des experts vacataires et anonymes sur la foi des données fournies par les instituts.
Selon les rapports fournis par la commission à la suite de chaque consultation électorale, le travail croit avec le nombre de sondages électoraux, mais cela ne donne pas lieu à une augmentation des interventions. Les réclamations sont rares et constantes : respectivement 7 et 3 pour les élections présidentielle et législatives de 2007. La commission n’intervient jamais pour critiquer la méthode d’un sondage particulier. Peut-être pour corriger ce constat, elle fit, en mars 2007, une « mise au point » sur les redressements d’un sondage sur les intentions de vote de CSA Opinion. Les dirigeants de cet institut répliquèrent vertement en suggérant que la commission des sondages n’était pas compétente pour juger. Les interventions sont rares et générales. Elle mettent en garde le public contre des mésinterprétations et recommandent des précautions. Encore ces moyens prévus par la loi sont-ils relativement respectés. Quand la commission des sondages demanda à la chaîne de télévision France 2 de communiquer une mise au point au journal de 20 heures, la rédaction refusa au nom de la liberté éditoriale. Il est vrai qu’un sondage ouvrait l’édition de ce journal du soir.
Enfin, l’interprétation donnée par la commission des sondages à l’expression « rapport direct ou indirect » avec l’élection définit l’étendue très étroite de son contrôle. Le terme « direct » désigne les intentions de vote et le terme « indirect » semble se limiter à ce qui concerne les candidats. Des sondages « opportuns » en période de campagne électorale pourraient être compris. Les élections européennes de 2009 ont montré la limite de ce contrôle avec deux sondages qui participaient manifestement du conditionnement des électeurs. Un sondage Opinionway sur la sécurité commandé par le ministre de l’Education nationale montrait des données favorables à des mesures sécuritaires (portiques et fouilles de sac dans les écoles) au moment même où le président de la République relançait le thème de la sécurité [1]. Aucun commentateur, même le plus obtus ou le plus partisan, n’omit de relier cette intervention à la campagne électorale européenne. La commission l’ignora puisque aucune fiche technique ne fut déposée à son secrétariat et aucune ne fut réclamée au sondeur. Ensuite, Le Figaro publia un sondage de la même entreprise, manifestement truqué [2], qui assurait qu’une majorité d’Européens était favorable à Nicolas Sarkozy. Certes, le président n’était pas candidat. Mais c’est bien lui qui « gagné les élections », selon la presse unanime. Aucune fiche technique n’a été déposée et aucune observation de la commission des sondages n’a été signalée.
Devant un bilan aussi insignifiant de son activité, l’utilité de la commission des sondages n’est donc pas avérée. Faut-il dire alors qu’elle ne sert à rien ?