observatoire des sondages

Le criminel, le ministre et... OpinionWay

vendredi 5 juin 2009

Imaginons un crime pédophile et, dans la foulée, un sondage sur le rétablissement de la peine de mort. On connaît le résultat : une grosse majorité approuverait. Les sondeurs se refusaient jusqu’à maintenant à ce genre d’opération et on doit les en féliciter. Cette période est-elle révolue ?

Il le semble à en juger par le sondage OpinionWay commandé par le ministre de l’Education nationale Xavier Darcos. Après des violences scolaires défrayant la chronique opportunément en période de campagne électorale, il ne pouvait pas y avoir d’autre réponse d’opinion qu’une réponse sécuritaire. Ainsi, selon Le Parisien qui reproduit complaisamment les résultats (Le Parisien, 27 mai 2009), 64 % des Français sont favorables à la fouille et 81 % sont favorables à l’installation de portiques. Conclusion : « les mesures fortes n’effraient plus » pour les proches du ministre. Faire un sondage en ligne laissait encore moins d’incertitude qu’un sondage au téléphone pour lequel il n’y en avait déjà pas. Le recours aux internautes accentue en effet la pente de ce type de sondage. Ces sondages en ligne permettent de consulter plus rapidement les sondés et donc d’accentuer encore plus le registre de l’émotion. Quoique la méthode des quotas soit appliquée si l’on fait confiance au sondeur et on n’a aucune raison de le faire, ces panels d’internautes fonctionnent d’abord comme des échantillons spontanés. Commander le sondage en ligne à OpinionWay, agence affidée de l’Elysée c’est mettre encore plus les chances de son côté. A quoi bon faire un sondage ? Voilà qui justifie les déclarations de Nicolas Sarkozy devant un parterre d’officiels qui servent de décor à la campagne européenne du président de la République. Bien entendu, OpinionWay a omis de confier ce sondage à la commission comme cela devait être fait selon une interprétation simple de la loi.

Encore une utilisation de l’arme sécuritaire d’un pouvoir prévisible ? On ne peut pourtant ignorer l’affinité avec des situations de politique fiction. Le régime politique français ressemble de plus en plus à un régime totalitaire soucieux de couvrir son autorité d’un consentement populaire fabriqué. Ici, il l’est par une technologie manipulatoire s’appuyant sur l’incompréhension des internautes. Il est vrai que leur rémunération ajoute encore à la malignité d’un système où les sondés sont payés pour exprimer une opinion conforme aux attentes du pouvoir (cf. OpinionWay et TF1 : Tout a un prix même les opinions !) . Comme on l’a souvent fait remarquer, opinion vient d’opiner. Ce n’est donc qu’un retour à l’étymologie.

Le sondage en ligne est ainsi une sorte de plébiscite moderne : poser des questions dont on connaît la réponse et dont l’intérêt est de légitimer le pouvoir. Depuis le Second Empire, on en connaît les mécanismes. Il restait à diminuer la visibilité de la contrainte et les violences contre-productives. La nouvelle domination paraît plus douce combinant l’usage ordinaire du sondage en ligne, entre les mains d’une agence de sondage officielle, les médias contrôlés par le pouvoir et l’omniprésence du pouvoir qui multiplie les effets d’annonce et maîtrise l’agenda politique. Dans cette situation inquiétante, il existe un point inclinant à l’optimisme, le système est grossier et se dévoile suffisamment tôt.

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