observatoire des sondages

Commerce et terrorisme : un publi-rédactionnel France-info, 20minutes et Obéa-infraforces

vendredi 8 octobre 2010

Que les sondeurs apportent eux-mêmes une preuve de leurs pratiques frauduleuses est un fait suffisamment rare pour être signalé. La fiche technique du sondage Obea-Infraforces/20 minutes/France Info sur les perceptions des Français de la politique sécuritaire du gouvernement, publiée le 4 octobre 2010, n’a pas été manifestement suffisamment lissée par le sondeur. Y figurent toujours des annotations ne laissant aucun doute sur les manipulations ordinaires auxquelles les enquêteurs doivent se livrer, pour forcer les sondés à répondre et les orienter dans « leurs choix », ou plus généralement sur les techniques de production de l’ « opinion publique » par les sondeurs.

Si les refus de réponse et les fameux « NSP » (Ne sait pas) ne sont pas proscrits ils sont au moins dissuadés, et les journalistes invités à ne pas en parler. Pour la satisfaction du client (Cf. ci-dessous les extraits de la fiche technique. Cliquer sur les images pour les agrandir).

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Sondage Obéa-infraforces
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Les annonces répétées du gouvernement français à propos d’une menace terroriste, en plein débat sur les retraites et l’affaire Woerth ont suscité des doutes sur leur opportunité. Le sondage apporte sa contribution à la stratégie sécuritaire gouvernementale.

- Question : "En ce qui concerne le terrorisme pensez-vous qu’aujourd’hui la menace en France est sérieuse ou pas sérieuse ?". 79% des sondés répondent : oui la menace est sérieuse.

On est jamais trop prudent.

- Question : "Comment jugez-vous l’action du gouvernement face à la menace terroriste ?". 65% jugent cette action adéquate.

C’est rassurant.

- Question : "Pensez-vous que le gouvernement, en matière de terrorisme, a raison d’informer les Français de ses inquiétudes ?". 76% des sondés acquiescent.

C’est tellement mieux d’être informé.

Le reste du sondage est à l’avenant, confortant l’option sécuritaire de Nicolas Sarkozy et de son ministre de l’intérieur. Les sondés ne sont pas tout à fait dupes, exprimant un "avec moi ça ne prend pas", forme de "scepticisme et de cynisme des classes populaires" [1], puisque cette stratégie est aussi perçue comme "électoraliste" (61%) ou destinée à faire oublier l’affaire Woerth. Les possibilités de réponse soumises aux sondés permettent cependant au chef de l’Etat de retrouver des chiffres favorables, 58% estimant que ce dernier "a eu raison de montrer de la fermeté à propos de la sécurité" (la mollesse en la matière aurait-elle été applaudie ?) ou 43% de "s’intéresser à la déchéance de la nationalité" ("s’intéresser" ? Pourquoi pas ?).

Comme la fiche technique de l’ « étude » mentionne comme commanditaires 20minutes et France-Info, reste le sondeur : Obea-Infraforces, importante société de conseils en communication, marketing, publicité, et ressources humaines, cotée en bourse, également prestataire en formation professionnelle et gestionnaire d’un réseau d’écoles privées. On comprend mieux la teneur et les résultats de ce push poll en osmose avec le pouvoir politique. On peut aussi s’interroger sur les liens noués par certains medias, ici un quotidien privé et une radio publique, avec ce type d’entreprise et la nature du travail journalistique qui en découle. Question : les publi-rédacteurs sont-ils (encore) des journalistes ? On peut se le demander. Nous savons par contre que les entreprises commerciales investissent de plus en plus dans la fabrique de l’opinion.


[1Cf. Richard Hoggart, La culture du pauvre, Paris, Editions de Minuit, 1970, pp. 327 et suiv.

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