Le premier tour des élections législatives de 2012 a montré la mauvaise qualité de ces sondages locaux (cf. Que valent les sondages locaux ?). Il semble bien que la taille réduite autour de 600 personnes, avec des zones d’ombre sur la proportion des réponses et non réponses, sur l’inscription des marges d’incertitude (faussement indiquées entre 2,4 et 4 % dans les premières fiches techniques) quand il faudrait les indiquer à 4,1 % au moins et enfin la méthode des quotas dont on se demande sur quelle base est déterminée la structure sociale d’une population locale dans le découpage électoral. En effet, celui-ci est généralement opéré sur une base cantonale avec des exceptions de communes voire de parties de communes rattachées à la circonscription. Les données de l’INSEE ont beau être précises (cf. les bases de données locales), on s’interroge sur les opérations d’addition des populations des communes. Le soupçon est alimenté par l’Ifop qui sur son site indique avoir appliqué la méthode des quotas selon deux bases différentes : « par stratification par région et catégorie d’agglomération » et « par stratification par canton et catégorie d’agglomération » [1]. La première mention s’applique à la représentativité d’un sondage national, la deuxième à un sondage local et on doute que la méthode ait été réellement appliquée.
Ces problèmes n’empêchent pas de recommencer les opérations pour le deuxième tour. D’autant plus que comme d’habitude, les exigences méthodologiques n’encombrent pas la commission des sondages. Et les scrupules les sondeurs ? Il faut ici corriger car il n’est guère que trois "instituts" à s’être livrées à ces sondages locaux. Cela signifie que les autres – en l’occurrence les plus importants – ont refusé de le faire.
Quelle que soit la piètre qualité de la prestation, l’Ifop a réussi une belle opération en publiant un sondage qui fait parler de lui (Ifop-Fiducial-Sud-Ouest-France Bleu La Rochelle, France3 Poitou-Charentes, 13 juin 2012). Effectué sur la première circonscription de la Rochelle et sur un échantillon de 604 personnes, il a défrayé la chronique au profit d’un psychodrame local opposant Ségolène Royal et un candidat dissident du PS et d’une coïncidence avec le fameux tweet de la compagne du président de la République. Or, ce sondage a en quelque sorte enfoncé le clou en faisant apparaître deux données saillantes : une large avance du candidat dissident donné vainqueur avec 58 % des intentions de vote contre 42 % à sa concurrente et l’efficacité des consignes de vote données par un cacique local de l’UMP en faveur du candidat dissident. L’avance est effectivement importante malgré tous les défauts signalés des sondages locaux. Sous l’appellation d’intentions de vote, la question posée était très prudente : « pour lequel des deux candidats suivants y aurait-il le plus de chances que vous alliez voter ? ». De même, l’ampleur des reports de vote de droite sur le candidat de gauche dissident est importante en pourcentage : 83 % des électeurs de la candidate UMP au premier tour de l’élection législative, 82 % des électeurs de Nicolas Sarkozy au premier tour de l’élection présidentielle et 55 % des électeurs de Marine Le Pen. Ces indications sont pourtant peu fiables étant donnée les tailles très réduites de ces sous-échantillons : 83 % de l’électorat de la candidate UMP cela fait entre 30 et 40 personnes sur l’échantillon de l’Ifop.
Quoiqu’il en soit de la valeur du sondage, il a fait non seulement parler de lui mais a montré une fois de plus comment les sondages intervenaient dans les luttes politiques : de manière spectaculaire et inédite. « Sauver le soldat Royal », comme des commentateurs se sont emparés du titre, s’est imposé au vu de ce sondage qui a amené le premier ministre à l’invoquer pour demander au candidat dissident de se retirer pour ne pas être le candidat élu par la droite et à Ségolène Royal d’évoquer une trahison. Le candidat dissident campé sur ses positions invoque les principes du suffrage universel et de la libre compétition avec une petite note d’anticommunisme qui ne peut que plaire à l’électorat de droite. Sans doute, l’élection d’un candidat grâce au concours d’un autre camp est-elle fréquente dans l’histoire électorale. Le brouillard des urnes interdisait de prouver les alliances indicibles. La transparence projetée par un sondage sur les reports, fut-elle approximative, fut-elle fausse, change tout car les acteurs croient devoir s’en prévaloir pour peser sur les événements et les votes.
Il n’est pas sûr que cette supposée transparence fasse un seul gagnant : ni les élus locaux et électeurs participant aux aspects les moins nobles de la « politique d’arrondissement », ni le député élu, Ségolène Royal qui en paraîtrait imposée par la pression de la capitale, ni son concurrent Olivier Falorni, déjà placé dans le rôle du traître, Eric Besson en étant la figure récente, et bientôt comparé, puisque la situation fut celle d’élus de gauche avec des voix de droite, aux néo-socialistes Adrien Marquet ou Marcel Déat.