Les signes se multiplient déjà : les responsables politiques vont être de plus en plus soumis aux questions fondées sur des sondages et lancées par les journalistes les moins inspirés. A plus de deux ans du scrutin, c’est dire le nombre de questions inutiles et même nuisibles qui vont être posées. Est-ce trop vous demander que de ne pas y répondre. Dans votre propre intérêt. De quoi s’agit-il en effet ? Les sondages sur lesquels on va vous demander de réagir sont en l’espèce des cotes de popularité et des intentions de vote. On entend leur morne et invariable refrain, « votre popularité vient de baisser de tant de points selon le dernier sondage IFOP, BVA, Ipsos, Sofres, etc… », « pensez-vous vous présenter alors que… » ? Or, ces sondages sont faux.
Que valent en effet des cotes de confiance quand des sondés sont interrogés sur une trentaine de personnes qu’ils connaissent plus ou moins bien et répondent pour faire plaisir à un enquêteur ou une enquêtrice ? C’est ainsi que les personnalités politiques les plus oisives, comme Jacques Chirac aujourd’hui et un autre demain, obtiennent les meilleures cotes de confiance. Que valent des intentions de vote quand le scrutin est fixé dans plusieurs années et que les noms des candidats ne sont même pas connus ? La notion d’ « intention de vote » est dans ce cas plus que problématique. C’est un tour de force des sondeurs que de l’avoir imposée. Il n’est pas un scientifique pour la prendre au sérieux. Sinon la veille du scrutin. Avec bien des précautions.
On se souvient de la réaction d’un journaliste politique bien connu, Alain Duhamel, devant le refus d’un Premier ministre, Raymond Barre, de s’exprimer sur les résultats d’un sondage : « mais c’est scientifique » protestait le journaliste avec le sourire et un début d’indignation. Eh bien non, ce n’est pas scientifique et vous pouvez balayer les questions par cette réplique inversée : « Un sondage ? Mais ce n’est pas scientifique ».
Votre journaliste peu inspiré risque encore de vous assurer que c’est démocratique et qu’en somme vous ne l’êtes pas. Il serait paradoxal d’opposer cet argument à un élu mais le lieu commun risque bien, sous une forme ou l’autre, d’être exprimé. Là encore, vous pouvez rétorquer : non ces sondages ne sont qu’une parodie de la démocratie. On a en effet un peu oublié que la République s’est imposée par la lutte contre les fausses informations et les rumeurs. Au XIX° siècle, le contrôle de régularité des élections les considérait comme des motifs d’invalidation. Or, les cotes de popularité et les sondages sur les intentions de vote sont devenus les équivalents modernes des fausses informations. Mener les débats politiques à coup de fausses informations, est-ce la démocratie ?
Vous savez en outre aujourd’hui que les trucages sont avérés à la fois parce que des opérateurs indélicats manipulent les questions et les chiffres mais parce que les producteurs de sondages masquent l’identité des commanditaires. Vous croyiez savoir qui payait et qui effectuait les sondages. Vous savez que rien n’est moins sûr et que nul ne peut vérifier. Ce sont pourtant moins ces importantes révélations qui sont d’abord en cause que la substance même d’opérations de questionnement qui, dans les cotes de popularité et les intentions de vote, sont fallacieuses.
Certes, répondrez-vous, il est difficile de se délivrer de l’addiction sondagière. Est-il d’abord possible d’éviter les questions des journalistes les moins inspirées ? On en convient aisément mais vous pouvez les aider à briser les chaînes de la dépendance en refusant le jeu. On a souvent entendu des responsables politiques se défier des sondages quand ils étaient « mauvais » et applaudir quand ils étaient « bons ». On attend encore de voir un ou une responsable politique rejeter un excellent sondage. Ce jour-là, un grand service aura été rendu à la démocratie. D’avance bravo.