Le dépouillement des documents obtenus par Raymond Avrillier sur les sondages de l’Elysée a nourri une relance de l’Opiniongate avec la publication d’enquêtes du journal Le Monde (11 octobre 2012) et de l’hebdomadaire Marianne (13 octobre 2012). Aurions-nous eu connaissance des faits exposés si la requête n’avait pas été agréée par le tribunal administratif de Paris et si l’Elysée n’avait pas obtempéré ? La défaite de Nicolas Sarkozy le promettait. Est-on cependant sûr que des documents administratifs ne disparaissent jamais dans les changements de pouvoir ? En cas de succès, certes improbable, il eut au mieux fallu attendre cinq ans de plus. On ne boudera donc pas la lumière jetée par ces documents. Si on peut attendre d’autres informations, voila ce qui est d’ores et déjà établi : des confirmations et des révélations.
Confirmations
On se souvient que la Cour des Comptes avait relevé la similitude de sondages commandés par l’Elysée via la société Publifact et de sondages publiés dans la presse. Or, nulle mention du commanditaire de ces sondages n’était faite dans les médias comme Le Figaro ou le JDD. En infraction de l’article 3 de la loi du 19 juillet 1977 qui oblige à signer les sondages publiés par le nom du sondeur et celui du commanditaire. Ces sondages étaient donc payés par l’argent public sans que quiconque le sache sinon ceux qui les avaient faits, commandés et publiés. On attend toujours les factures que le directeur du Figaro d’alors avait promises. Ces « omissions » étaient d’autant plus graves que, comme nous l’avions montré, il y avait trucage sur un sondage au moins favorable à l’Elysée et payé par l’Elysée avant les élections européennes [1].
Une confirmation satisfait l’auteur de ces lignes qui a reçu une plainte en diffamation pour avoir émis l’alternative suivante à propos de Patrick Buisson : « Et pourquoi laisser Buisson se faire une marge de 900 000 euros sur son dos (de la présidence) ? Soit c’est un escroc, soit c’est un petit soldat qui constitue un trésor de guerre pour payer des sondages durant la prochaine campagne électorale sans que ce soit visible dans les comptes de campagne du candidat Sarkozy ? » (Libération, 6 novembre 2009).
Le procès en diffamation a eu lieu en novembre 2010, le jugement qui a débouté Patrick Buisson ayant été prononcé en février 2011, un appel interjeté et enfin l’audience ayant eu lieu le 3 octobre 2012. Jugement le 7 novembre. J’avais formulé une proposition hypothético-déductive pour convaincre l’interviewer de l’explication des énormes surfacturations. Bien évidemment, l’Elysée connaissait les prix des sondages – et Patrick Buisson ne trompait pas son client – mais l’argumentation visait à convaincre qu’il s’agissait d’un financement illicite et anticipé. Les documents remis à Raymond Avrillier le confirment. Deux avenants à la convention entre l’Elysée et Publifact d’une part, entre l’Elysée et Giacometti-Péron d’autre part (curieusement épargné dans le début de l’Opiniongate) montrent une réduction importante (80%) du coût des prestations en février 2012 : celle de Patrick Buisson passant de 10 000 à 2000 euros et celle de Giacometti-Péron de 33120 à 6120 euros mensuels. Qui pourrait croire qu’il s’agit d’une prise de conscience morale soudaine de la nécessité d’économiser ? De ce point de vue, est-ce vanité que de souligner que j’avais percé le système dès octobre 2009 ? C’est en effet probablement une raison de la plainte contre moi et de l’appel. C’était pourtant mon travail normal de scientifique si on se fie encore à Emile Durkheim qui soutenait que la « science ne mériterait pas une heure de peine si elle ne servait à quelque chose ». On m’a donc fait un procès durant 3 ans pour avoir découvert la vérité.
Autre confirmation, les questions sans rapport avec la fonction présidentielle ont continué qui concernaient la candidature future de Nicolas Sarkozy. Ils devraient donc être inclus dans ses dépenses de campagne.
Révélations
« Conscient du manque de transparence de ce système, j’ai souhaité qu’il y soit mis fin, si bien que cela appartient désormais au passé » avait concédé Christian Frémont, directeur de cabinet du président de la République devant la commission des finances de l’Assemblée Nationale le 13 octobre 2009. Il avait reconnu une infraction précise - l’absence d’appel d’offres – et démenti l’assurance de Patrick Buisson qui avait soutenu : « Il va de soi que ce contrat est soumis au code des marchés publics » (L’Express, 15 septembre 2009). Le transfert des sondages vers le SIG est partiellement confirmée. Toutefois, l’Elysée commandait aussi directement aux sondeurs : OpinionWay, Ipsos et Ifop. Le directeur de cabinet a tenu parole puisqu’il y a bien des appels d’offres pour les sondages commandées à partir de mars 2009. Par contre, on voit mal en quoi consisteraient des appels d’offres à l’égard des conseillers Giacometti-Péron et Publifact. Si tout était si clair, on comprend mal la procédure par laquelle le directeur de cabinet a confié la signature des commandes à un publicitaire, Jean-Michel Goudard, conseiller bénévole du président de la République. Au journal Le Monde qui lui demandait s’il était habilité à signer, il répondit avec un étonnement qui ne manque pas de sel : « Une délégation de quoi ? Vous me parlez un langage que je ne comprends pas. Oui, c’est moi qui signais les trucs. Après le passage de la Cour des Comptes, on a changé les procédures. Christian Frémont m’a demandé de signer ce qu’un avocat ou un comptable avait rédigé. Mais je n’ai jamais eu aucun contact avec une seule société d’études » (cf. Le Monde, 10 octobre 2012). On aura du mal à ne pas penser que le directeur de cabinet était très prudent.
L’Opiniongate n’est donc pas terminé. L’association Anticor a déposé plainte contre X. La procédure attend une décision de la Cour de Cassation sur l’immunité du président de la République. Le parquet avait étendu opportunément l’immunité aux co-contractants de l’Elysée. Les sondages concernant les adversaires politiques, la vie privée du couple présidentiel et autres sujets relèvent-ils des attributions présidentielles ? Et qu’en est-il alors des délits de favoritisme désignés par Anticor ou des infractions à la loi de juillet 1977 que la commission des sondages n’a jamais relevées ? Enfin, les sondages de candidat à l’élection présidentielle ainsi que la baisse des coûts intervenus quelques mois avant l’élection après une surfacturation amèneront-ils le Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (C.N.C.C.F.P.) à « corriger » les comptes du candidat Nicolas Sarkozy ? Dans la déclaration des dépenses du candidat, la ligne « conseil en communication » est vierge, et seulement 110.919 euros sont indiqués pour le poste « enquêtes et sondages ». Ces sommes bien moindres qu’en 2007 et que celles de ses concurrents obligent à les rapporter aux dépenses importantes de l’Elysée durant le quinquennat. En 1995, le Conseil avait été gravement défaillant en validant les comptes du candidat Edouard Balladur. Pour le crédit de l’Etat de droit et son propre crédit, on concevrait mal une nouvelle défaillance.