Après l’abandon de la commission d’enquête parlementaire, en l’absence de toute suite judiciaire sur les sondages de l’Elysée, l’enquête continue. Nous ne disposons pas des pièces à conviction puisque la présidence de la République les dissimule en s’opposant à toute élucidation. Nous continuons donc par d’autres voies. L’Observatoire s’est procuré les listings de l’Elysée pour l’année 2009. On se souvient que le contrôle de la Cour des comptes avait porté sur l’année 2008. On se souvient aussi que le directeur de cabinet de l’Elysée avait déclaré devant la commission des finances de l’Assemblée nationale que tout avait changé en mars 2009. En somme, la légalité avait repris ses droits. Jean Launay, rapporteur de la commission, avait demandé les listings des commandes de sondages. Le directeur de cabinet avait immédiatement accepté et envoyé ces listings. Quelques jours plus tard, le rapporteur a demandé les listings pour l’année en cours. Ils sont arrivés la veille de la publication du rapport. Le 6 novembre 2009, Libération publiait un dossier de quatre pages analysant les commandes de 2008. Il n’y fut pas question des sondages de l’année suivante. Les listings étaient en effet fort décevants. Si les précédents laissaient beaucoup dans l’ombre, ces derniers ne disaient plus rien de l’objet des sondages.
A bien y réfléchir, il aurait dû y avoir un changement en mars 2009 puisque le directeur de cabinet avait affirmé avoir changé les règles. Il faudra donc se contenter de cette affirmation. La nouvelle demande avait été conçue pour vérifier si ce changement avait bien eu lieu. Tout à sa préoccupation de « lisser » le listing, son « auteur » n’a pas fait cette démonstration. La demande consistait aussi à vérifier les commandes de sondages pour les élections européennes. 2009 était une année électorale et non 2008. Si l’on a bien compris le système de manipulation de l’Elysée, on pouvait imaginer qu’il avait été impossible de ne pas se livrer à quelques opérations d’influence à la veille des élections. On visait spécialement le sondage sur la popularité européenne de Nicolas Sarkozy dont on a prouvé ici même qu’il avait été truqué. Le Figaro qui l’avait publié à la « une » avec le titre racoleur de : « Sondage : une majorité d’Européens ont une bonne opinion de Sarkozy » n’avait pas cédé à la titraille puisque le sondage OpinionWay donnait bien au président une opinion majoritairement favorable. Très peu à vrai dire et donc si peu qu’il avait fallu recourir à deux subterfuges pour dépasser la barre des 50 % : l’absence d’un échantillon national pour le seul Nicolas Sarkozy et la non représentativité des effectifs des cinq pays du sondage en ligne [1]. Cela avait été découvert avant l’élection européenne et avant la publication du rapport de la Cour des comptes. Jusqu’alors, on supposait que Le Figaro, quotidien de droite comme c’est son droit, avait financé un sondage favorable au chef de l’Etat et à l’UMP. Après le rapport de la Cour des comptes, on pouvait supposer que le véritable commanditaire n’était pas Le Figaro mais bien Publifact et donc l’Elysée comme dans le cas du Politoscope. En somme, le président avait payé un sondage favorable que Le Figaro avait publié une semaine avant le scrutin. Singulières mœurs politiques. On sait qu’ensuite, l’Elysée, le gouvernement et la presse ont vanté la victoire de Nicolas Sarkozy à l’élection européenne alors que la liste UMP était arrivée en tête. Encore fallait-il démontrer la source du sondage. La demande du listing des commandes élyséennes pour 2009 était une tentative de le faire. Manqué. Il faudra attendre d’avoir accès aux factures. Dans quelques années ?
Il était toutefois possible de questionner la commission des sondages. Depuis la modification en 2002 de la loi de 1977, les citoyens peuvent obtenir la fiche technique des sondages auprès d’elle. Peu de citoyens le font alors que cette fiche est publiée avec le sondage et sur les sites des entreprises. Surprise : la commission ne nous donnait pas les renseignements affichés dans Le Figaro et sur le site OpinionWay, elle n’avait pas reçu la fiche technique du sondage européen. Son rôle est pourtant de vérifier que cette formalité soit bien effectuée. Un oubli et une faute du sondeur ? La commission nous fournissait elle-même l’explication en nous assurant que ce sondage n’entrait pas dans le champ d’application de la loi : " Vos autres demandes ne peuvent être satisfaites pour les raisons que voici. Le sondage OpinionWay intitulé Images de Nicolas Sarkozy et de la présidence française de l’UE auprès des Britanniques, italiens, allemands et Espagnols n’entre pas dans le champ de compétence de la commission...". [2]. Quand on sait que la loi concerne les sondages « ayant un rapport direct ou indirect » avec l’élection, on peut s’étonner qu’un sondage sur la popularité européenne du chef de l’Etat, engagé en première ligne, et une semaine avant le scrutin soit exclu du contrôle. Si la définition de la loi est large, il faut noter que la commission a justement étendu son domaine d’intervention, notamment pendant les deux mois de la campagne électorale, à des questions qui ne sont pas directement électorale [3]. Comment peut-elle faire l’inverse pour le sondage concerné ? La surprise s’accroît quand on se reporte à un autre chapitre des compétences (« Qu’est-ce qu’un sondage d’opinion ? ») qui énumère les sondages concernés pour résoudre le problème de l’absence de définition législative : « La commission a admis […] que la définition donnée à l’article 1er de la loi couvre non seulement les sondages sur les intentions de vote des électeurs, mais aussi sur la popularité des hommes politiques, sur l’opinion à l’égard des gouvernements, des partis ou groupements politiques, de leur programme ou généralement des sujets liés au débat électoral ». Le sondage sur la popularité européenne de Nicolas Sarkozy une semaine avant l’élection européenne relève donc bien du contrôle légal. Soit la commission ne dispose pas de la fiche technique, alors elle n’a pas fait son travail et se justifie en se contredisant (au diable les curieux !), soit la commission a bien la fiche technique du sondage et ne veut pas la communiquer car elle n’a pas fait son travail en ne relevant pas les trucages de ce sondage. Dans les deux cas, elle « couvre » le sondeur. Sans qu’on puisse prouver que le commanditaire était la présidence de la République comme ce dernier épisode nous donne une raison supplémentaire de le croire.++++
Nous avons donc continué l’enquête par des sondages électoraux de 2008, dont nous savions à coup sûr que le commanditaire était Publifact et donc l’Elysée comme l’a établi le rapport de la Cour des comptes et comme l’a confirmé son premier président dans une réponse au directeur d’OpinionWay. Notre demande a porté sur 6 sondages, deux locaux sur Marseille et quatre vagues du Politoscope où étaient posées des questions sur les intentions de vote. La réponse s’est faite attendre puisque la première demande par courrier électronique le 10 février 2010, a été suivie d’une relance le 4 mars 2010 et que les informations sont arrivées le 7 avril 2010. Le secrétaire permanent de la commission nous a signalé « pour notre gouverne » que les fiches techniques étaient disponibles sur les sites des sondeurs. Nous le savons pertinemment pour les consulter régulièrement. Simplement la modification légale de 2002 a prévu le droit de consultation des citoyens auprès de la commission et non auprès des sondeurs. Et rien ne garantit que la fiche technique publiée sur leur site ait bien été envoyée à la commission puisque la fiche existe pour tous les sondages – même non concernés par la loi de 1977 – et que la commission a pour mission de vérifier que ces formalités sont bien effectuées. Comme elle le précise sur son site, ce n’est pas toujours le cas : « Cette obligation n’étant pas toujours respectée, un travail préalable de recherche est parfois nécessaire, destiné à identifier l’auteur de l’enquête et à en connaître les conditions de réalisation » (Chapitre compétences). Pour les quatre Politoscope concernés, comprenant des questions sur les intentions de vote (28 février 2008, 6 mars 2008, 4 septembre 2008 et 13 novembre 2008), la commission des sondages a confirmé détenir les fiches techniques avec les mêmes informations que celles qui étaient publiées par le sondeur.
Les auteurs du sondage indiqués sont OpinionWay, LCI et Le Figaro. Or on sait depuis le rapport de la Cour des comptes que Publifact a payé le Politoscope. Le Figaro a publié une information mensongère reprise dans la déclaration à l’organisme de contrôle. Comme s’en est prévalu la présidente de la commission des sondages le 23 juillet 2009, la sincérité de la déclaration relève de la responsabilité du sondeur. Ici OpinionWay. Or, la commission des sondages n’a pas réagi. Autrement dit, elle n’a pas exercé son contrôle. Les sondeurs le savent dorénavant, la commission de contrôle ne contrôle pas et face à la démonstration publique d’une fausse déclaration, elle se tait. Pourtant, elle n’avait pas eu besoin de faire un quelconque « travail préalable de recherche ». C’est encore la commission qui explique qu’elle n’a pas de pouvoir de sanction mais « a la possibilité de mises au point à la presse et peut saisir le garde des Sceaux ». Il n’en a rien été. Ce n’est plus seulement la loi de 1977 qui est violée mais le code électoral et précisément l’article 90.1 auquel renvoie l’article 12 de la loi de 1977 sur les déclarations mensongères. La violation du code électoral n’a déclenché aucune procédure judiciaire. Enfin, pour justifier une commission exorbitante sur les commandes de sondages effectuées par sa société Publifact à Opinionway, M. Patrick Buisson a fait valoir qu’il était l’auteur véritable des sondages dont il sous-traitait le terrain à OpinionWay. Les Politoscopes dont la commission des sondages a reçu les fiches techniques seraient donc l’œuvre d’un autre que le sondeur déclaré. Or, M. Patrick Buisson n’a pas effectué de déclaration préalable de sondeur auprès de cette commission comme il est obligatoire de le faire (article 7 de la loi de 1977). La commission ne s’en est pas émue. Elle n’allait quand même pas demander des comptes au conseiller es sondages du président.