En Italie, comme en France, les médias, qu’ils soient considérés « de gauche » ou « de droite », publient les enquêtes de sondeurs sur tout et n’importe quoi. Les sondés disponibles sont sollicités sur les sujets les plus divers, choisis avec un certain cynisme en fonction de l’actualité du moment (réforme de la justice, fête de l’unité nationale italienne, révoltes au Moyen-Orient, scandales liés à Silvio Berlusconi, Vatican, etc.), soumis à des questions le plus souvent biaisées quand elles ne sont pas sans intérêt. Parmi la presse, rares sont les journaux qui résistent à la tentation des sondages ou qui en font l’analyse critique comme parfois Il Manifesto. Cette manie sondagière tient lieu de débat démocratique. Le personnel politique italien semble également en avoir pris son parti.
Au mois de mars par exemple, Rosy Bindi, présidente du Parti Démocrate, une des personnalités de l’opposition pressentie comme future présidente du Conseil, a été l’objet de l’attention des sondeurs. Istituto Demopolis nous « apprend » qu’elle est perçue comme étant honnête (80%), « modérée » (59%), « compétente » (56%), mais pas assez « concrète » (49%), insuffisamment « charismatique » (35%) et manquant d’ « esprit inventif » (33%) [1]. Des informations, au delà des adjectifs choisis par le sondeur, de la plus haute importance. Ipsos Italie s’emploie lui, par la voix de son président Nando Pagnoncelli, un habitué des plateaux de télévision [2], à promouvoir les rares enquêtes défavorables à Silvio Berlusconi. La rigueur de la méthode lui importe peu cependant surtout s’il s’agit d’annoncer la possible victoire d’une autre personnalité du Parti Démocrate, Pierluigi Bersani (35%) face à l’actuel président du Conseil (30%) (sondage Gli italiani e la politica davanti a la tragedia giapponese, 16 mars 2011). Le commentateur prenant soin de gommer les singularités des différents partis d’opposition pour tabler sur une hypothétique défaite de Silvio Berlusconi. Car c’est l’un des attributs des sondeurs, qui, tel Humpty Dumpty dans Alice aux pays des merveilles, donne son sens aux mots et aux choses. Entreprise d’autant plus primordiale que des sondages sont publiés tous les jours dans la presse. Les autres sondeurs ne valent pour ainsi dire pas mieux, qu’il s’agisse de Coesis Research qui collabore avec La Stampa, de ISPO S.R.L. dont les sondages sont commandés principalement par Corriere della Sera et Rai Uno, de EMG qui diffuse les siens sur La7 TV, ou de Digis Srl qui coopère avec Sky Tg24. Les procédés et les objectifs sont toujours les mêmes, des questions manipulatoires destinées à apporter leurs lots de réponses favorables aux dogmes économiques néolibéraux ou à la discrimination, focalisées ces dernières semaines sur le rejet des immigrés venant de Tunisie ou de Libye, ou dans un autre domaine sur la réforme de la justice. Un régime d’opinion à l’image du président du Conseil italien ?