Dans la réforme actuelle de la législation sur les sondages, les parlementaires ont entendu les sondeurs à plusieurs reprises : ils ont été auditionnés par les sénateurs Hugues Portelli et Jean-Pierre Sueur qui élaboraient un rapport. Ils ont été entendus à nouveau après la publication du rapport sénatorial et la proposition de loi. Le texte entre les mains de l’Assemblée nationale, ils ont été à nouveau entendus par le rapporteur de la proposition, le député UMP Etienne Blanc. Les sondeurs, mais quels sondeurs ? Le Syntec, le syndicat professionnel français, affiche quelques 250 affiliés. Pour avoir été entendus, il suffit de lire la liste des personnalités auditionnées, pour constater que ce sont les « grands » "instituts" qui ont pu s’exprimer. Ceux qui font des sondages politiques, qui publient leurs sondages dans la presse, défraient éventuellement l‘actualité et travaillent pour les ministères et les partis politiques. Pour faire entendre la voix de la masse des petits sondeurs, le syndicat Syntec a suffi. Il est vrai que les « petits » sondeurs, souvent des entreprises à caractère local, ne sont pas aussi concernés, voire pas du tout, car ils ne font pas de sondages d’opinion mais seulement des études de marketing. Sont-ils pour autant étrangers à la réforme des sondages ?
A l’examen des changements initiés par la proposition de loi sénatoriale, rien ne les concerne et notamment pas les dispositions les plus contestées par les majors : les redressements des intentions de vote, les marges d’erreur et surtout l’interdiction de la gratification des sondés puisqu’elle ne s’appliquerait pas aux études de marketing. Alors pourquoi souhaitent-ils être entendus ? La question du crédit de la profession. Ils ont surtout des intérêts divergents. Les majors se servent des sondages d’opinion comme de vitrines pour leurs marques. Ils insistent suffisamment sur la part minime de ces enquêtes dans leur chiffre d’affaire quand il s’agit de se défendre face aux critiques – cela est si peu dans notre chiffre d’affaires que nous n’avons aucun intérêt à tricher, voire pas d’intérêt du tout – mais ils n’abandonnent surtout pas ce marché des études d’opinion dont ils se plaignent qu’elles leur valent tous les ennuis. La notoriété induite leur rapporte bien des contrats commerciaux et leur facilite même les contacts avec les sondés. Il est aisé de comprendre que bien des gens répondent facilement à un sondage de TNS Sofres qu’à une enquête de Somme Toute. On aborde en même temps une divergence des intérêts : l’accès aux sondés.
Les petits sondeurs profitent-ils de cette notoriété des grands sondeurs ? Ils ont vécu sur cette croyance pendant des décennies. Après tout, proposer « un petit sondage » supposait de faire un de ces sondages dont on parlait dans les médias et était donc censé flatter les personnes sollicitées. Il semble bien que la fréquence des évocations des sondages sur les médias ait simplement épuisé le charme voire suscité une hostilité croissante à l’égard des sollicitations. Les petits sondeurs sont donc partagés entre un gain de notoriété de leur métier mais aussi par le discrédit que les grands font peser en suscitant des polémiques et en saturant l’espace public. La divergence se matérialise dans la baisse de rendement des enquêtes qui amène les centres de téléphonie à appeler de plus en plus de numéros pour obtenir leur échantillon représentatif. Les difficultés ont été signalées dès la fin des 1980 aux Etats-Unis et dix ans plus tard en France. Cette difficulté a été promptement mise sur le compte de l’inflation des enquêtes et surtout de la généralisation du télémarketing où derrière l’annonce du sondage, l’appelant faisait une offre commerciale. La critique venait des principaux "instituts" qui trouvaient dans certains milieux universitaires aux Etats-Unis et dans la presse un écho. Il est alors apparu que le marché de la réponse aux sondages n’était pas illimité malgré les millions de répondants potentiels.