observatoire des sondages

Gustave Le Bon penseur de la République en 2023

vendredi 24 mars 2023

« La foule n’a pas de légitimité face aux élus » (Emmanuel Macron, TF1, 22 mars 2022). En écoutant le Président de la République opposer la foule ou l’émeute au corps électoral, on aurait pu se croire revenu au cœur de la Troisième République et plus précisément à la vision conservatrice qu’en formula Gustave Le Bon dans sa Psychologie des foules (1895).

Cette proximité pourrait dégager un parfum nostalgique si elle ne concernait la conception de la démocratie. Emmanuel Macron a soutenu une conception conservatrice qui n’a plus cours, celle d’une expression régulière et espacée du peuple pour choisir ses dirigeants avec un mandat libre. Un mandat en blanc en quelque sorte. On n’évitera sans doute pas la question des limites de la démocratie représentative comme régime politique concret. La domination n’y a pas disparu. Encore doit-elle se faire discrète – notamment en la déniant – ou en tempérant le pouvoir par des contrôles. Aujourd’hui, même dans une vision de la démocratie, il faut bénéficier d’un consentement minimal des gouvernés. Evidemment, la masse de manifestants et le degré d’engagement – incluant la violence de rue – font partie des alertes signalant le défaut de consentement. Cela existe même si on fait mine de ne pas voir ou entendre. Cela existe d’autant plus que les « alerteurs » – les corps intermédiaires – n’ont pas suffi à retenir l’attention et imposer la prudence.

On cherchait donc de quelle idéologie Emmanuel Macron s’inspirait. On a la réponse : son maître à penser est Gustave Le Bon, cet idéologue du début du XXe siècle, favori des salons bourgeois de la rive gauche et de Sciences Po comme on nommait déjà l’Ecole libre de Sciences Politiques. Finalement, la filiation est assez bien repérable.

Le peuple, celui qu’on invoque ou dont des membres se manifestent, varie selon ceux qui l’invoquent. Une manière de choisir son peuple. Depuis plusieurs décennies, il a trouvé une autre expression qui a été remarquablement esquivée dans lors de son intervention. On aurait aimé qu’il dise ce qu’il pensait de cette très forte majorité de sondés hostiles à la réforme. A ce niveau de désapprobation, quand on sait l’addiction aux sondages des gouvernants, il n’y a pas d’ambiguïtés. Cela signifie donc que les voix portées sur un candidat pour toutes sortes de raisons, l’emportent sur un jugement ad hoc sur un enjeu précis. La fides implicita comme remise de soi l’emporterait par principe sur la fides explicita qui exprimerait un accord ou un désaccord politique. La vision surannée des livres de pseudo science du XIXe siècle et réactionnaire si on s’y réfère en politique est-elle réellement assumée ou bien s’agit-il d’une sorte de décrochage intellectuel des élites politiques ? Gustave Le Bon, penseur de la République en 2023, on n’aurait osé y penser.

Lire aussi

  • Et encore Goldman : le ridicule ne tue pas

    3 janvier 2024

    On savait depuis la fin de l’année 2022, depuis bien plus longtemps en fait, que le chanteur de variétés retraité et retiré de la chanson depuis 20 ans, J-J. Goldman serait la "personnalité préférée (...)

  • Patrick Champagne (1945-2023)

    16 décembre 2023

    Patrick Champagne nous a quitté le 9 décembre. Avant de louer le sociologue, il convient de se souvenir de la gentillesse et de l’humour qu’il manifestait avec ses amis et collègues. En toutes (...)

  • Présidentielle 2027 : une obsession « hors-sol »

    11 juillet 2023

    Les sondeurs, leurs commanditaires officiels, officieux, nombre de journalistes politiques n’ont toujours pas compris - ou font toujours semblant de ne pas comprendre - que ce n’est pas parce que (...)