observatoire des sondages

Opiniongate : été 2015

mercredi 26 août 2015

Il aura fallu 6 ans pour que l’affaire des sondages de l’Elysée amène la mise en examen du principal protagoniste Patrick Buisson. Et bien des péripéties. Au cœur de l’été 2009, la Cour des Comptes publiait un rapport sur les finances de l’Elysée relevant des anomalies dans les dépenses de sondages de la présidence de la République. Sans en désigner les personnages, conformément aux règles de l’institution. La presse s’emparait donc de l’enquête pour révéler le nom de la société de sondages Opinionway, principal mais non exclusif fournisseur de sondages pour l’Elysée, et surtout le nom de Patrick Buisson, conseiller discret – comme la suite l’a fait oublier – de Nicolas Sarkozy, président en exercice.

Derrière la société énigmatique Publifact se cachait celui qui, payé comme conseiller, était en même temps gérant de la société qui commandait les sondages à sa guise nonobstant une commission de plus de 50 % sur les prix. En contravention avec le code des marchés publics. Une autre société de communication apparaissait – la société Giacometti- Péron - dont les prestations n’obéissaient pas non plus au code des marchés publics. En plaçant en garde à vue Patrick Buisson et Pierre Giacometti, en mettant en examen le premier et en réservant le sort du deuxième, le juge d’instruction entame donc la procédure qui va amener au procès des sondages de l’Elysée. Au cœur de l’été 2015.

Six ans, cela fait beaucoup de temps. L’étonnement ne porte pas seulement sur la lenteur judiciaire. Les commentateurs ont immédiatement relevé que le procès aurait lieu avant l’élection présidentielle de 2017. Et si Patrick Buisson en est le principal protagoniste avec sa mise en examen, pour « recel de délit de favoritisme », « abus de biens sociaux » et « détournement de fonds publics par un particulier », d’autres personnes devront rendre des comptes, à commencer par les anciens responsables étant intervenues dans la convention liant Patrick Buisson à la présidence : Emmanuelle Mignon, directrice de cabinet du Président de la République et Claude Guéant, secrétaire général de la Présidence. Autrement dit, l’état major de Nicolas Sarkozy, président de la République en exercice et donc protégé par l’immunité présidentielle. A ce titre, il ne paraîtra pas dans la salle d’audience. Irresponsable ? L’ex président mais pas le candidat à une nouvelle élection. En coulisses, un argument sera utilisé en dépit de toute vérité, c’est celui de l’acharnement judiciaire, alors que la lenteur judiciaire est surtout le résultat de la longue obstruction menée par Nicolas Sarkozy et les siens.

Six ans cela justifie un rappel au-delà du seul déclenchement d’une des affaires du mandat de Nicolas Sarkozy. L’Observatoire des sondages en a tenu une chronique qui se confond largement avec les péripéties des « enterrements ». Reprenons en les principales étapes.

- Après les révélations de la Cour des Comptes, quelques médias ont enquêté sur les protagonistes anonymes du rapport de la Cour. Il apparut vite que le principal était Patrick Buisson, conseiller du Président, sorte d’éminence grise fort discrète tout à coup propulsé au devant de la scène et gérant de la société Publifact. Un deuxième protagoniste était l’entreprise de sondage Opinionway. Une rare polémique éclata entre sondeurs dont on chercherait vainement les conséquences. Opinionway fut la cible de tous ses confrères, y perdit son crédit. Pour couper court à l’affaire, cette entreprise et Patrick Buisson assignèrent en justice l’hebdomadaire Marianne.

- L’audition du nouveau directeur de cabinet de l’Elysée donna l’occasion au rapporteur de la commission des finances de l’Assemblée nationale de demander les listings des sondages de l’Elysée. Le directeur accepta. Libération publiait des extraits dans un dossier annoncé par une portrait de Nicolas Sarkozy avec un titre cruel : « L’obsédé des sondages ». Deuxième réplique : Patrick Buisson portait plainte pour diffamation contre Libération et moi-même. ’autres plaintes suivirent ( contre la Garde des Sceaux pour conflit d’intérêt) ou annonces de plaintes (pour diffamation contre Le Pont qui avait évoqué les écoutes pratiquées par Patrick Buisson).

- Sur le terrain parlementaire, l’opposition demandait une commission d’enquête alors que la réforme constitutionnelle initiée par Nicolas Sarkozy prévoyait qu’il suffisait d’une minorité qualifiée des 2/3 pour en créer une, permettant ainsi à la l’opposition de passer outre un veto de la majorité. Cette commission était créée mais son rapporteur UMP Olivier Carré faisait exclure de son périmètre l’examen des sondages de l’Elysée au nom de la séparation des pouvoirs. L’opposition abandonnait avant de lancer une deuxième tentative avec la proposition d’une commission portant sur toutes les dépenses de sondages du gouvernement. Difficile à l’Assemblée de se priver du contrôle des finances qu’elle votait par le budget. Le rapporteur de la nouvelle commission, le député Etienne Blanc faisait exclure les sondages de l’Elysée pour la même raison que précédemment. Dégât collatéral : la réforme constitutionnelle sur les conditions de création des commissions d’enquête s’avérait un leurre.

- Sur le terrain judiciaire, le parquet refusa d’ouvrir une instruction judiciaire au nom de l’immunité du Président de la République. Ce blocage fut permis par une conception extensive de l’immunité présidentielle à tous ses collaborateurs, l’état major de l’Elysée mais aussi les conseillers spéciaux et les prestataires contractuels comme la société Publifact ou Giacometti-Péron. Or, le Parquet est soumis au Garde des Sceaux. L’élection de François Hollande supprimait l’obstacle. Il a cependant surtout fallu l’obstination de particuliers, Raymond Avrillier qui obtint par la tribunal administratif de Paris la communication des sondages et le recours de l’association Anticor devant la Cour de cassation qui ouvrait la voie à une instruction.

Six ans après, le sens même de l’affaire s’est un peu effacé. Certes, les motifs de mise examen suffisent à la justice. On n’est pas certain que les citoyens en comprennent bien le sens. Les commentateurs sont surtout concernés par la dimension politique de l’affaire : en quoi risque-t-elle d’affecter le sort politique de Nicolas Sarkozy ? Absent du procès au profit de l’immunité présidentielle, ses collaborateurs non protégés et à cet égard, les lampistes – rien moins que Claude Guéant, Emmanuelle Mignon et quelques autres - risqueraient de se défausser sur un ancien président à l’abri. Cette vision stratégiste pour ne pas dire cynique de la politique est la mieux partagée. En (se) focalisant sur les conséquences politiques des affaires, elle contribue sans doute à en faire oublier la substance. Surtout si le dénouement judiciaire intervient longtemps après. Il convient donc de rappeler et même de définir ce qui est en jeu.

Il ne faut pas bouder une mise en examen qui contribuera à éclairer les choses. On connaît déjà mieux la procédure qui a amené la conclusion des contrats entre Patrick Buisson et l’Elysée (cf. Le Monde, 31 juillet 2015). La signature de la directrice de cabinet a conclu un dossier ayant cheminé par le secrétaire général Claude Guéant, après une demande d’avis juridique au conseiller de l’Elysée qui, étonnamment, levait tout doute comme s’il ignorait le code des marchés publics. Le contrat passé entre Patrick Buisson et l’Elysée violait manifestement les règles de mise en concurrence comme celui passé avec le cabinet Giacometti-Péron.

Au-delà de l’aspect juridique, ces contrats nous apprennent plus que les défaillances ou les tricheries de personnes particulières. Ainsi, un Président de la République peut faire discrétionnairement financer des conseils et sondages politiques – on en saura plus sur les sujets abordés à l’occasion du procès même si on sait déjà que plus d’un sondage concerne peu la Présidence mais bien les intérêts partisans – sans respecter les règles légales. L’hyperprésidentialisme n’est pas seulement une concentration du pouvoir politique mais son usage illégal. Selon une logique élémentaire, l’hyperprésidence ouvre la voie aux illégalismes. Encore une fois, la parade paraît trouvée aux plus optimistes qui ne manqueront pas de faire savoir que les illégalités ne sont pas passées inaperçues. Quitte à oublier les manœuvres pour enterrer l’affaire. Les partisans de Nicolas Sarkozy feront même savoir que c’est grâce à l’ancien Président que le contrôle de la Cour des Comptes a été étendu à la Présidence de la République. Encore faudrait-il savoir dans quelles conditions Nicolas Sarkozy a instauré ce contrôle. Passion de la transparence ou accord très politique entre Nicolas Sarkozy et Philippe Seguin, ancien Président de la Cour des Comptes ? Que le premier contrôle ait compromis la Présidence montrerait une forme d’inconséquence d’un président que l’euphorie de la victoire ne porte pas à anticiper les futures difficultés. Ses conditions ne montrent nullement qu’il était probable qu’il soit aussi compromettant. La Cour des Comptes a d’ailleurs su marquer ses bonnes manières à l’égard de la Présidence. L’irrégularité a en fait été découverte par la vigilance mais aussi le hasard d’un conseiller intrigué par les sujets des sondages commandés par l’Elysée. Il avait cru les voir publiés dans la presse, précisément Le Figaro. Vérification faite, une quinzaine de sondages sur 24 avaient bien été publiés. Sans qu’aucune mention du commanditaire, Publifact qui les avait commandés, et encore moins l’Elysée, ne soient mentionnés dans la fiche technique comme y oblige la loi.

Quel pouvait être le crédit de sondages payés par la Présidence de la République et publiés par une presse qui le cachait. La dénégation du directeur du Figaro, Etienne Mougeotte, n’a convaincu personne – il n’a jamais produit les factures comme il l’avait annoncé – même pas sa rédaction qui s’est défendue par une protestation non suivie d’effets. Plus tard, la publication d’un enregistrement clandestin de Patrick Buisson a élucidé, s’il en était besoin, la relation entre Patrick Buisson et Etienne Mougeotte en divulguant un appel téléphonique où le premier donnait ses conseils au second.

L’affaire des sondages de l’Elysée nous éclaire un peu plus sur les représentations de la politique au sommet de l’Etat. Pourquoi ces sondages ? La Présidence a dépensé plus de 9 millions d’euros pendant le mandat de Nicolas Sarkozy. Après les révélations de la Cour des Comptes, une part des dépenses a été transférée vers le Service d’Information du Gouvernement et les ministères. La nécessité ? L’utilité de sondages laisse dubitatif parce qu’ils concernaient surtout des intérêts partisans (déjà la réélection du Président en exercice, sa popularité), des curiosités personnelles du Président ou du commanditaire à moins qu’il ne s’agisse de divulguer à la presse des chiffres favorables afin d’influencer l’opinion comme à la veille de la consultation européenne de mai 2009 où le Figaro pouvait annoncer en une que Nicolas Sarkozy était populaire en Europe (Cf. Comment Opinion Way truque un sondage ; Comment OpinionWay truque un sondage II (la suite)). On sondait d’autant plus volontiers qu’on le faisait gratis. L’Etat payait.

La vision centrée sur les conséquences politiques éventuelles des scandales – la sanction aura-t-elle des conséquences politiques ? – n’est pas moins inintéressante parce qu’elle est partielle. On peut l’aborder d’autant plus directement que la question est posée généralement sous forme interrogative à la fin des articles de presse alors que l’on connaît la réponse. Cela ne manque pas d’ironie. Dans la mesure où un dirigeant politique n’est pas empêché légalement, sa carrière ne semble pas être gênée par les mises en cause les plus claires. On peut différencier trois types de réactions de défense :

- la dénégation : les charges sont fausses ou exagérées. Il faut plutôt chercher du côté de ceux qui instrumentalisent la justice voire du côté de juges politiques. C’est le discours de la victimisation.

- la relativisation : les charges sont vraies mais tout le monde fait pareil. On ne va donc pas s’acharner sur celui qui a été débusqué si on ne le fait pas pour les autres.

- le déplacement : es charges sont vraies mais il y a plus important, la gestion d’un maire, d’un gouvernement qui méritent bien que l’on passe sur des broutilles.

Ces réaction s’additionnent fréquemment, quelle que soit leur incompatibilité rationnelle. La dénégation est puissante car elle est double : refus d’avoir été trompé et refus de s’être trompé. Et lorsque des électeurs sont finalement convaincus des tricheries de leur élu – après beaucoup d’obstination dans le cas évoqué – il ne faut pas croire qu’ils se détournent de leur élu. S’ils concèdent difficilement sa culpabilité, ils ne le défendent pas moins comme « bon gestionnaire ».

Évidemment, les arguments sont à géométrie variable et la clémence ou l’incrédulité pour son camp s’accommode d’une grande sévérité pour le camp adverse. Ainsi encore, les élus les plus compromis, depuis le gendre Wilson en 1889 après avoir été convaincu d’un trafic de décorations jusqu’à Patrick Balkany aujourd’hui, sont-ils réélus. Avant qu’on ait eu des données chiffrées sur la corrélation entre l’évaluation des affaires et la position partisane, les législateurs avaient bien senti qu’il ne suffisait pas de condamnations pour convaincre les électeurs de donner leur vote. L’inéligibilité peut être comprise comme une sanction légale d’ailleurs prévue depuis longtemps par méfiance envers les électeurs. Il y a même un processus vicieux dans les affaires dont l’accumulation sert les accusés. Selon une logique élémentaire, la multiplication pourrait être considérée comme un indicateur négatif des mœurs. Il est plutôt considéré comme une preuve de complot contre les accusés. De bonne guerre. Plus qu’aucun de ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy s’est constamment posé en victime expiatoire. Et ses partisans comme Patrick Balkany n’ont pas hésité pas mettre leurs propres « ennuis » sur le compte de l’acharnement visant leur « ami » Nicolas Sarkozy. Une telle défense convainc des partisans ne demandant qu’à croire.

L’impunité est une triste caractéristique du système politique français où est généralement mise en avant la puissance des dirigeants, l’adresse de leurs avocats et les lenteurs de la justice mais rarement la défaillance des citoyens. Il n’y a probablement pas de constat plus désespérant que ce dernier.

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