observatoire des sondages

Poutine et les Russes : madame Irma consultante pour LCI

samedi 1er juillet 2023

Si la profession journalistique a fini par comprendre que le réchauffement climatique nécessitait sinon une élévation de son niveau de culture scientifique du moins un traitement un peu plus rigoureux des enjeux et bouleversements qu’il engendre, force et de constater qu’en matière de sondages d’opinion tout reste à faire. Nous ne nous faisions certes guère d’illusion en 2008 date de la création de l’Observatoire. Après 15 ans de veille scientifique et d’exposition à l’inculture des médias (les exceptions sont rares), à part en rire, dans le meilleur des cas, difficile d’être surpris par les sottises de toutes sortes qu’ils continuent à débiter. A l’image de LCI, le 23 juin dernier à propos des Russes sur la guerre en Ukraine et Vladimir Poutine.

Nous n’avions que l’embarras du choix tant les intervenants ont fait ce soir là assaut de bêtise. En voici quelques extraits.

- Yves Thréard (Le Figaro) : j’ai le sentiment quand même que si vous regardez un peu les études qui sont menées...les études sondagières, alors vous me direz un sondage en Union soviétique...en Russie, ça vaut pas grand chose mais il a quand même une popularité qui est absolument incroyable Poutine, alors que le début de cette guerre est assez catastrophique quoi qu’on dise (...). On ne sent pas la population bouger, frémir contre le régime de Poutine.

Le sentiment ? Le ton est donné. Inutile, voire même cruel d’exiger quoique ce soit d’un journaliste qui s’étonne dans la même phrase de l’incroyable popularité sondagière de V. Poutine tout considérant que les sondages russes ne valent rien. Une figure de style néanmoins classique du commentateur professionnel que les biais qu’il perçoit ou croie percevoir ne dissuadent pas de commenter, de faire comme si de rien n’était. Ce n’est donc que pour la forme que nous rappellerons que la popularité sondagière en Russie ou ailleurs n’a pas grand sens sauf pour les communicants (et les journalistes doxosophes payés pour dire « quelque chose »). Agréger sous le même vocable « popularité » des réponses sinon contradictoires du moins qui n’appartiennent pas aux mêmes registres reste une plaisanterie scientifique. A notre connaissance le journaliste du Figaro ne fait pas partie des trolls pro-russes qui vantaient récemment la popularité de Poutine supérieure à celle de Macron, sauf à penser que leur campagne d’intoxication auprès de certains doxosophes français a été efficace. A suivre.

- Eric Brunet (LCI) : ce sujet on va en parler plus tard, on a des chiffres on a des sondages, on a des micros-trottoirs qui sont très intéressants sur Poutine.

- Renaud Pila (LCI) : et plutôt indépendants...

- Eric Brunet : et plutôt indépendants on va voir une certaine diversité d’opinion s’exprimer...Enfin les poutinistes soient ils mentent très bien aux instituts de sondages, soient ils sont des poutinistes fervents, les Russes majoritairement.

Plutôt indépendant ? Toujours la même rengaine réductrice puisque le sondeur dont il est question est le Centre Levada, qui n’est certes pas loin s’en faut à la solde du régime russe. Mais les sondés qui sont-ils ? Sont-ils représentatifs et en quels termes ? Partagent-ils par exemple le diagnostic simplet de ces journalistes parisiens de plateau télé, ignares quant aux conditions d’administration pour le moins délicates et problématiques des enquêtes en Russie. Des questionnements sans doute encore trop complexes (pervers ?) pour un esprit simple mais déterminé comme l’animateur de l’émission (E. Brunet).

- Julie Hammett : sur la Crimée on avait un sondage intéressant à vous montrer. c’est l’institut Levada qui est un institut indépendant russe qui pose la question : en cas d’accord de paix quel avenir pour la Crimée (cf. photos d’écran infra)...
On ressent ce que vous disiez [plutôt dans l’émission] la charge symbolique et émotionnelle de la Crimée, on a d’ailleurs un autre sondage intéressant concernant les autres territoires occupés également. Dons les Russes suivent totalement leur patron, Vladimir Poutine. Hors de question, ni les terrioires occupées actuellement ni la Crimée redeviennent Ukrainienne
.

Les sondages sont intéressants en effet, pas à cause « bien sûr » des résultats mais pour l’effet narcotique qu’il engendre chez l’animatrice de LCI qui parvient à y déceler des signes d’émotion et du symbole. Les lecteurs sont prévenus, s’ils cliquent sur l’image ci-dessous s’ils s’exposent à des effets secondaires peut-être indésirables...

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Indépendamment des sérieux doutes sur les qualités des deux sondages, on imagine qu’il est inconcevable pour un esprit aussi simple que le refus de la restitution des territoires occupés soit autre chose que le signe d’une adhésion sans faille à la geste « du chef ». La restitution de ces territoires sonnerait pourtant sans aucun doute comme une défaite pour la Russie et pas seulement pour son « patron ». On peut donc sans trop de peine penser qu’il existe des Russes, qui ne sont poutinistes, ni de près ni de loin, mais qui ne souhaitent tout simplement pas voir leur pays perdre in fine la guerre, fussent-ils hostiles au conflit.

Alla Poedie (conférencière ukrainienne) : ... tout ce qui est sondage en Russie ça reste relatif car on ne peut pas dire qu’il y a des instituts de sondage indépendants en Russie, ca n’existe pas...

Renaud Pila : celui là est fait avec le Chicago institute : c’est le travail le plus sérieux qui soit...

Yves Thréard : ... le moins faussé qui soit.

Coincée entre tout ce qui « sonne américain est d’or » de l« éditorialiste maison et »truqué peut-être mais il y a pire", la voix légèrement discordante d’Alla Poedie - guère compétente il est vrai sur les sondages - n’empêcherait pas Madame Irma et ses boules de cristal sondagières de continuer à occuper le temps d’antenne.

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