C’est devenu un lieu commun : les sondages se sont trompés. « Primaire écologiste : encore un flop des sondages et des médias » se gaussait Mediapart [1] à l’issue du premier tour du scrutin organisé par Europe-Ecologie et remporté par Eva Joly avec 49,75% des suffrages exprimés contre 40,22 pour Nicolas Hulot (Stéphane Lhomme 4.65% ; Henri Stoll 5,02%). Et de pointer pêle-mêle des sondeurs et des organes de presse fautifs. Les résultats du deuxième tour ont confirmé puisque, avec 58,16% des voix , la perdante annoncée remporte la primaire.
Qu’il s’agisse de l’Ifop, de BVA, de LH2, d’OpinionWay, d’Ipsos ou de Viavoice tous ont répété à plusieurs reprises que le candidat d’Europe Ecologie préféré des Français, et des sympathisants des Verts (à l’exception sur ce point d’OpinionWay), à l’élection présidentielle de 2012 était Nicolas Hulot.
Principaux sondages relatifs à la primaire [2]
Ifop [3] | LH2 [4] | Ifop [5] | BVA [6] | Ipsos [7] | OpinionWay [8] | Viavoice [9] | |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Nicolas Hulot | 64% |
51% |
66% |
77% |
75% |
42% |
63% |
Eva Joly | 34% |
22% |
32% |
19% |
41% |
57% |
28% [10] |
Comme à leur habitude, les sondeurs et les journalistes récusent l’idée même d’une erreur. Exception faite pour le Jdd qui reconnaît un « plantage magistral » tout en faisant porter une partie de la responsabilité de cette bévue sur les électeurs de la primaire qualifiés de « corps électoral très mystérieux », et sur le silence de l’Ifop quant à la « fragilité » de ses résultats. Et l’Ifop d’accuser comme tous les sondeurs en pareil cas le commentaire journalistique : « Chacun fait son travail. Les médias manquent parfois de prudence ou de nuance. Mais vous savez ce que c’est qu’une rédaction. Il y a une nécessité de faire parler, de faire du bruit » [11].
Les causes de cette nouvelle « approximation » sont pourtant simples.
1 - Une partie des résultats de ces sondages reposait sur la préférence exprimée entre N. Hulot et E. Joly de l’ensemble des sondés d’échantillons dits représentatifs de la population française. Ce qui revenait à interroger des personnes qui n’auraient jamais voté, et ne voteront jamais le jour venu, pour un candidat écologiste, quel qu’il soit, notamment parce qu’elles le considèrent comme un adversaire politique. Bref, on invitait les adversaires dans la primaire.
2 - La notion de sympathisant utilisée par les sondeurs pour tenter d’appréhender plus précisément l’électorat partisan ne recouvre aucune réalité tangible et objectivable. Elle repose sur les déclarations des sondés par définition équivoques. Autrement dit un sympathisant n’est pas exactement un adhérent, un militant ou un électeur d’un parti politique. En outre les effectifs de ses sympathisants sont, pour l’ensemble de ces sondages quand le sondeur prend la peine de les indiquer, tellement faibles (généralement une centaine), qu’ils sont sans valeur statistique. Argument immédiatement réfuté par François Miquet-Marty de Viavoice dont l’effectif de sympathisants s’élève à seulement 133 personnes : « Il est possible d’en tirer des conclusions » [12]. On reconnaît bien là l’humour des sondeurs.
3 - D’un point de vue méthodologique, comme en atteste la formulation commune quasiment à toutes ces enquêtes [13], certainement à cause de l’impossibilité pour les sondeurs d’appréhender le collège électoral de la primaire, aucun des sondages incriminés n’est stricto sensu un sondage d’intentions de vote. Ils n’apportent que des indications sur la popularité de l’un et de l’autre, une évaluation de leur visibilité médiatique, et profitaient au candidat le moins partisan a priori, en l’occurrence Nicolas Hulot jugé moins à gauche. Ils ont pourtant été pris et lus comme intentions de vote par les journalistes mais aussi par les sondeurs eux mêmes. Ils en ont tenu compte dans l’élaboration de leurs sondages d’intention de vote à la présidentielle de 2012, du moins ceux publiés avant le premier tour de la primaire écologique, en choisissant pour leur liste de candidats en lice Nicolas Hulot comme représentant des Verts. Curieuse défaillance de la part des sondeurs qui rabâchent à longueur d’année que les cotes de popularité, et les intentions de vote sont deux choses bien distinctes et nullement corrélées.
Conclusion
Les sondeurs ne mesurent pas ce qu’ils croient ou ce qu’ils disent mesurer.
Les journalistes ne savent pas ce que les sondeurs leur donnent, et ne cherchent pas le savoir.
Leur surprise n’est donc que le produit d’une tromperie : celle des sondeurs qui trompent et se trompent et celle des journalistes trompés. Une surprise « artefactuelle » en somme puisqu’il suffit de faire une erreur pour fabriquer une surprise.