Le SIG qui dépend du Premier ministre ne connait pas la crise. Il est l’objet depuis plusieurs années de critiques et dénonciations émanant de l’Assemblée nationale ou du Sénat, à propos de « l’insincérité » endémique de son budget initial (largement minoré à dessein) [2]. Mais également de la presse, à propos du montant de ses dépenses en sondages (La LettreA, 20 octobre 2020, TF1info, 3 décembre 2020, Libération, 4 juin 2021, Capital, 2 novembre 2021...) [3]. Et même de ses membres, accusant son actuel directeur de « brutalités managériales » (Le Monde, 16 juillet, 2021). Qu’à cela ne tienne, blanchi à la suite d’un « audacieux » audit d’un cabinet de consultants privé - défense de rire - Uside (cf. Le Monde, 21 octobre 2021), son directeur envisage de dépenser 21,5 millions d’euros via un appel d’offre essentiellement pour des QCM en ligne (cf. appel d’offre ci-dessous). En 2010, la dépenses en sondage du SIG avoisinait les 3 millions d’euros, 2.6 millions en 2020. Précision importante, le SIG est maintenant, en principe, la seule institution gouvernementale a commandé des sondages, mais cette somme est aussi à comparer à celle de ses dépenses, tout poste confondu, pour l’année 2020 : 26,5 millions d’euros (établies à la date du 8 octobre 2020) [4]. L’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine, pain béni également pour marchands « d’opinion » ?
Si l’intoxication à la doxosophie des gouvernements a inquiété à juste titre il y a quelques années la Cour des comptes [5], on imagine mal qu’on lui demande dans le cas présent un audit sur la qualité de la prestation et, c’est le plus important, de ses supposés vertus. Que ces "instrument d’analyse et de connaissance de l’opinion" soient scientifiquement des impostures, sans aucun doute possible - si l’on excepte du moins par principe, (les focus group, lot n° 5) ne préoccupe pas leurs commanditaires et utilisateurs.
Autrement dit : on ne saurait faire boire un âne qui n’a pas soif. Aucun risque donc, du moins dans l’immédiat, qu’un cabinet de consultants se voit charger de dresser un audit de l’efficience des dits outils ou de leur utilité, ceux qui en vivent mis à part... D’autant qu’il en existe déjà. Le constat établi lors son enquête par N. Kaciaf demeure en effet toujours d’actualité, et ce n’est pas une bonne nouvelle même si ce n’est pas une surprise (voir Les usages gouvernementaux des sondages d’opinion).
"Contrairement aux apparences, l’abondante commande d’enquêtes ne place pas l’exécutif dans une position panoptique vis-à-vis de la nation et de ses citoyens. Faible coordination entre services chargés de « lire » l’opinion, cloisonnement des informations au sein même des cabinets, travail dans l’urgence, perpétuel recommencement des enquêtes, équivocité des données : toutes ces dimensions laissent entrevoir qu’en dépit d’une utilisation frénétique d’études « quali » et « quanti », les gouvernants continuent de « naviguer à vue ». Ainsi, plus que dans les avantages stratégiques que procureraient les sondages à ceux qui disposeraient de leur résultat, c’est peut-être dans le décalage entre l’ampleur des dépenses qu’ils occasionnent et la superficialité des gains cognitifs qu’ils apportent que réside le principal scandale de ces usages gouvernementaux des enquêtes d’opinion".