La tonalité en est donnée dès les premières lignes reprenant les « éléments de langage » propres aux commentaires qui accompagnent nombre de sondages réalisés et publiés en France. Un rappel de pure forme à prendre les résultats (et donc logiquement le commentaire lui-même) avec « précaution ». Malgré leurs différences et leurs défauts, ces deux enquêtes seraient ni plus ni moins fiables que d’autres.
Comprendre : les sondages ont des défauts, des biais (un peu, beaucoup...) mais on s’en moque.
Le mode d’administration de ces enquêtes, visant à recueillir l’assentiment de la population chinoise à l’égard des autorités du pays (notamment sur sa gestion de la pandémie du covid) ferait bondir n’importe quel professionnel français du métier, pourtant peu réputé dans le champ scientifique pour son intransigeance méthodologique ou épistémologique. Ce sont des étudiants chinois, que l’on devine zélés, disciplinés et sans malice qui se sont chargés de diffuser les questionnaires sur des sites internet chinois (libres de tout système de surveillance ?). Ce ne sont donc au mieux que des votes de paille (straw polls) [1]. Quant aux entretiens individuels menés auprès de 31 000 chinois entre 2003 et 2016, on imagine sans difficulté « la qualité » des réponses d’interviewés vivant sous une dictature.
La conclusion (la morale ?) de ces deux « enquêtes » au demeurant parfaitement inutiles sauf à les prendre pour ce qu’elles sont vraiment, des outils de mobilisation politique, de propagande, est sans surprise : « les Chinois aiment leurs dirigeants ». Tout le monde le sait, aujourd’hui comme hier, les dictateurs sont aimés de ceux qu’ils tiennent sous leur férule, qui l’avouent d’ailleurs sans peine quand on leur demande... La peur, a fortiori la terreur, n’auraient bien sûr rien à voir dans ce constat. On « rêve ». Il n’y aurait donc que dans les démocraties que les « peuples » sont mécontents de leurs dirigeants. Preuve de la faillite de ces régimes ? Un argument de choix pour les cyniques peu sensibles à la subtilité. De quoi ravir encore plus le « petit père du peuple » Xi Jinping, qui ne se prive pas d’en user pour justifier la nature du régime chinois, et celui qu’il tente d’imposer à Hong Kong.
Que Le Monde (et son correspondant à Pékin) dont les affinités et accointances avec celui des sondeurs sont avérés depuis longtemps [2], aient finalement choisi selon la « bonne vieille idéologie » professionnelle de faire comme s’il s’agissait là d’une « information comme une autre », par définition toujours riche d’enseignements, plutôt que de se moquer, de soupçonner des contrefaçons rédhibitoires, voire de dénoncer une manipulation, en dit long sur la cécité journalistique, sur la paresse intellectuelle, l’indigence scientifique et politique de la presse dès qu’il s’agit d’opinion, de sondage d’opinion, ou d’une « pâle copie » [3].