Rien n’y fait, rien n’y fera. Quelles que soient les objections scientifiques aux sondages sur la primaire socialiste, ils continueront jusqu’au scrutin. Sans doute, le nouveau sondage Ipsos-Logica-Le Monde-Radio France et France Télévisions, a-t-il relevé le nombre des sondés pour atteindre un chiffre moins « riquiqui » de sympathisants de gauche ou socialistes « certains » d’aller voter. Surenchère. Le Monde revendique 3677 personnes pour le sondage réalisé en août 2011 [1] , 4742 pour celui réalisé en septembre [2]. Jusqu’où iront-ils ? En l’occurrence, en ayant fait passer le chiffre des sondés certains de voter à la primaire de 404 à 574, ils pensent sûrement faire tomber l’objection des marges d’erreur colossales. Ce n’est pas le cas.
Plus de 500 électeurs non pas certains mais très incertains, c’est encore trop peu. Surtout pour les candidats qui obtiennent peu de suffrages. Il est vrai qu’ils n’intéressent pas. Surtout, ce n’est pas le problème. Pour parler de marge d’erreur, par analogie avec les échantillons aléatoires alors qu’il s’agit d’échantillon par quota, il faudrait que le sous échantillon soit représentatif. On n’a aucun moyen de le savoir. En gros, si cela marche pour l’ensemble, pourquoi cela ne marcherait-il pas pour une partie ? On ne peut pourtant estimer quantitativement une marge d’erreur pour un échantillon spontané [3] au sein d’un échantillon par quota. Autre « détail » : les déclarations ne sont pas redressées comme on le fait habituellement dans les sondages électoraux. On n’en parlera pas. Quant au biais idéologique de ce type de sondage, selon la théorie de l’électeur médian, il n’en est pas question. Il ne peut en être question.
En accroissant aussi significativement la population d’enquête, le 36e sondage révèle un autre problème. 4742 sondés ! Qu’est-ce qui justifie une telle débauche de moyens ? Car un tel sondage coûte cher. Quel est l’intérêt qui peut commander une telle dépense ? Sûrement pas l’intérêt scientifique. A peine publiées, les informations sont obsolètes. Il faut donc savoir qui paie. Sauf commanditaire caché, le premier financier est Logica Business Consulting. Que vient faire cette entreprise dans le financement régulier des sondages ?
- Logica est l’une des principales SSII françaises (Sociétés de services et d’ingéniérie informatiques), spécialisée dans le conseil en management, en gestion et technologies de l’information. Ses principaux clients appartiennent aux secteurs banque-assurance, finance, agroalimentaire, pharmaceutique, télécommunications.
Opération de promotion ? Opération de financement politique aussi. Et quand on sait que les sondages commandent en partie la sélection des candidats, on ne peut que conclure que les dirigeants de cette entreprise sont intéressés au choix des candidats pour l’élection présidentielle. Seraient-ils intéressés par la démocratie et la science comme les sondeurs ?
Quant aux médias, combien ont-ils payé ce gros sondage ? On aimerait connaître les sommes acquittées par Le Monde, Radio France et France Télévisions. Dans le cadre d’un échange bien compris, un échange marchandise comme on dit, les sondages sont généralement offerts aux médias. De l’information gratuite en somme. Gratuite ? Pas tout à fait. Il faut bien payer autrement.
C’est ainsi que le sondeur s’offre une défense des sondages par un journaliste du Monde (29 septembre 2011). En service commandé, Thomas Wieder livre donc des explications méthodologiques qui reprennent précisément celles des sondeurs et précisément de Brice Teinturier d’Ipsos. Toujours les mêmes et toujours aussi fausses. Une touche personnelle consiste à commencer à citer les objections des politiques maltraités par les sondages sur la primaire, Ségolène Royal, Martine Aubry. Une manière d’insinuer qu’ils sont des mauvais perdants aux arguments intéressés. En gardant un autre mauvais perdant – Arnaud Montebourg - pour la fin. Quant aux critiques scientifiques, il n’en est pas question : la parole à la défense. Le procédé de débat politique devient inélégant quand est cité un membre de l’Observatoire des sondages contre ses propres convictions. Jusqu’à invoquer des chiffres qui n’ont aucun sens sinon l’exhibition de chiffres précis jusqu’après la virgule. Ainsi, citant les tableaux des marges d’erreur publiés par notre confrère et ami Patrick Lehingue, la marge d’erreur citée pour les candidats crédités de 2% des suffrages est de +/- 1,4 % pour un sous échantillon de 400 personnes, de +/- 0,9 % pour un échantillon de 1000 personnes mais de 3,2 % pour ceux qui sont crédités de 50 %. Cocasse s’agissant de mesures dont les sondeurs eux-mêmes disent qu’elles sont « approximatives ».
Evidemment, il ne s’agit que de donner des apparences de science. Et de servir leurs opinions. Les « petits candidats » ? Leurs espoirs sont bien minces car les sondages sur les primaires ne leur laissent aucune chance de monter tant dès le départ, ils sont ramenés au ridicule de quelques pour cents des suffrages. Il faudrait être un sympathisant particulièrement convaincu pour les choisir. Mais justement, dire « sympathiser », cela ne suggère-t-il pas une passion plutôt modérée. Quant aux « gros candidats », il s’agit de circonscrire l’incertitude électorale et pourquoi pas choisir. La logique censitaire est ainsi à l’œuvre dans de sondages qui servent ceux qui les paient. Quant à leur porte-plumes, on souhaite seulement qu’ils ne soient pas seulement des « idiots utiles ».