Surprise, s’exclamait-on le soir des élections européennes du 7 juin 2009 et le lendemain dans la presse. Surprises au pluriel pouvait-on aussi bien dire puisque, rangés au rang des étonnements, figurait au premier rang le succès des écologistes, les échecs du PS et du Modem et même la confortable avance de l’UMP. Or, pour qu’il y ait surprise, il faut que les sondages aient été pris au dépourvu. Certes, nous a-t-on dit à satiété, les sondages sur les intentions de vote ne sont pas des prédictions. Pourtant, les sondeurs ne se privent pas de signaler leur succès lorsque leurs derniers sondages avant scrutin sont proches des résultats électoraux. Lorsqu’il était trop difficile de crier victoire, la loi de juillet 1977 offrait un argument en interdisant toute publication dans la semaine précédant le jour de vote. Et de publier après coup leurs sondages préélectoraux. Depuis la réforme de 2002, l’interdiction a été ramenée à 24 heures. Une excuse en moins ? Il faut se détromper : le 8 juin, Ipsos a publié sur son site le « sondage interdit » qui montrait combien le dernier sondage non publié « donnait » les bons chiffres du scrutin européen.
Cet aveu était-il nécessaire ? Lors de la soirée télévisée, personne n’a mis en cause les sondeurs. Les surprises étaient trop belles pour bouder l’aubaine. Les gagnants n’allaient pas protester et les perdants non plus. Les sondages avaient déjà été mis en cause quelques jours plus tôt par François Bayrou. La situation est cocasse. L’accusation de sous estimer son score s’est révélée erronée et on peut douter que le chef du Modem mette à exécution ses menaces de révélations. Pourtant, les sondages se sont trompés en surestimant son score. Peut-il dès lors accuser les sondeurs pour le défaut inverse de celui qu’il leur reprochait ? Il reste le défaut.
L’observatoire des sondages s’est interdit de commenter les sondages électoraux qui ont fleuri pendant la période relativement courte de la campagne européenne. Les commentaires sur des évolutions de 1 % dans un sens ou l’autre ont encore nourri l’actualité politique. A quoi bon dépenser autant d’argent et de temps pour faire des mesures incertaines alors qu’il suffit d’attendre quelques jours pour avoir des résultats certains ? On ne se satisfera pas de la réponse selon laquelle cela ne sert à rien alors que l’on voit les états-majors politiques les yeux rivés sur les sondages. Selon la vision rationnelle, les sondages sont une aide stratégique aux candidats. A en juger par l’état d’énervement dans lequel les a parfois plongés la révélation des positions intermédiaires dans la course hippique à laquelle est réduite tout scrutin électoral, on ne peut exclure une addiction. Dans cette campagne, l’aide des sondages a été si trompeuse que le constat devrait inciter au sevrage. Gageons qu’il n’en sera rien.
Il est cependant un point sur lequel il n’y a pas eu de surprise : l’abstention a été conforme aux annonces. Conformément au rituel politique des démocraties, à peine (dans les deux sens du terme) signalée, elle a été renvoyée au néant pour laisser la place aux significations politiques du vote. Les voix une fois « données », sont livrées aux interprétations. La soirée électorale du 7 juin n’a pas fait exception. Avec 60 % d’abstention, les déclarations de victoire étaient pourtant indécentes. Certes, à s’en tenir aux critères les plus vulgaires de la politique, il y avait des gagnants. A quel prix ? Il a même fallu que le sondeur de service sur France 2, rappelle que les interprétations devaient être spécialement prudentes du fait de la faible participation électorale. Au moins les sondages auront-ils apporté une contribution à la compréhension de cette élection : avant le scrutin, nul électeur ne pouvait ignorer que l’on s’acheminait vers un record d’abstention. Cela signifie que l’abstention a été largement volontaire et qu’elle ne peut donc être renvoyée au néant politique de l’indifférence comme il est conventionnel mais faux de le faire. Les commentateurs médiatiques ont encore manqué l’essentiel.