La Tunisie vient de donner un exemple à méditer et à expérimenter. Loin de s’être engagé dans une révolution pour permettre de faire des sondages, comme n’ont pas été loin de le soutenir quelques sondeurs enthousiastes à l’idée de nouvelles terres de mission, le gouvernement transitoire a interdit tout sondage plusieurs semaines avant le scrutin. Pour la bonne tenue démocratique des élections. Les reportages des journalistes européens n’en ont pas parlé, manière de dire que l’absence des sondages n’a pas marqué la campagne, voire n’a même pas été remarquée.
En France, après le succès de François Hollande dans les primaires socialistes, les sondages sur les intentions de vote à l’élection présidentielle se sont immédiatement multipliés. Six mois avant l’échéance, on s’inquiète même d’une lassitude. Combien de sondages électoraux peut-on attendre ? A raison de deux par semaine, cela peut nous amener à une cinquantaine. Cela fait beaucoup. Et l’on en voit d’autant plus mal l’utilité que les sondeurs assurent que ces sondages n’ont aucun sens. On sait qu’ils usent et abusent de l’image de la photo instantanée pour prendre des distances avec leurs résultats. Cette fois, ils ne se donnent même pas cette peine. Leurs résultats n’ont aucune valeur assurent-ils sans ambages. A quoi cela sert-il alors de les publier ? Sans doute cela permet-il de pérorer malgré tout et, par exemple, à un journaliste de demander à l’inévitable sondeur de service : « on sait très bien que 64-68 %, ça n’a pas de sens, qu’est-ce que ça veut dire ces chiffres ? » (BFM, 21 octobre 2011).
Si les sondeurs sont si favorables à l’autorégulation de leur profession comme ils l’ont soutenu pour s’opposer à une nouvelle législation, on pourrait attendre qu’ils décident par eux-mêmes d’un moratoire sur leur production de sondages électoraux. Comme l’ont fait les Tunisiens.
On se permet ici de rêver – pas de sondages pendant la campagne présidentielle ? – et tenter d’en imaginer les effets :
La presse pourrait consacrer plus de place à de nouveaux sujets. On nous dit sans cesse que la place manque.
Les éditorialistes pourraient cesser d’ennuyer avec le même feuilleton. Ils pourraient même faire preuve d’originalité et d’intelligence.
Les Français oublieraient les pourcentages répétés qui rythment leurs semaines.
Les candidats pourraient s’occuper de trouver de bonnes idées sans être obnubilés par l’évolution des intentions de vote.
Ce serait une belle expérience qui permettrait d’observer les différences. La science en tirerait un profit immense.
Les sciences sociales souffrent de n’être pas expérimentales dit-on, cela n’est pas si sûr quand on peut se livrer à une sorte d’objectivation participante. Les sondeurs accepteraient-ils de se livrer à l’expérience pour le plus grand profit de la connaissance. On craint qu’une fois de plus, comme dans beaucoup de sondages, la réponse soit dans la question.