observatoire des sondages

La morgue des éditorialistes

dimanche 15 avril 2012

Quelle mouche les a-t-elle piqués ? Des éditorialistes omniprésents dans les médias s’énervent à l’approche du scrutin. Ils vitupèrent contre l’égalité du temps de parole et la présence des « petits candidats » sur les antennes. Ils abandonnent même le minimum de retenue qui sied à leur profession. Ils ne se comportent pas en polémistes mais en arbitres arrogants. Ils donnent des leçons de démocratie.

Dans Des paroles et des actes (France 2, 12 avril 2012), Franz Olivier Giesbert a vitupéré contre les candidats de gauche en des termes dont on voit mal le statut de commentaire journalistique :

- (Philippe Poutou) « c’est un type extrêmement sympathique totalement babacool. J’ai plein de copains comme ça d’ailleurs, on passe des bonnes soirées. On bouffe des sardines à Marseille, on rigole bien. Mais il ne connaît absolument rien de ses dossiers. Il confond tout, il ne sait pas du tout de quoi il parle. C’est absolument incroyable avec le programme le plus dingue ».

- (Nathalie Arthaud) « très intéressant, c’est d’ailleurs un vrai moulin à paroles, moi aussi d’ailleurs dans mon genre. Franchement ça fait froid dans le dos quand on pense qu’elle est prof d’économie, que nos enfants apprennent l’économie...son programme, je fais preuve d’objectivité, c’est : les bronzés font de l’économie  ».

- (Jacques Cheminade) : « et je ne parle pas, puisqu’on parlait folklorique, de Jacques Cheminade. Il vit dans sa bulle, très intelligent, très étrange personnage, complotiste, il voit le mal partout, très cultivé, beaucoup de citations, mais franchement il sera bien mieux en première partie de la prochaine tournée de Nicolas Canteloup ou de Laurent Gerra ».

- (Eva Joly) « Eva Joly, très intéressante Eva Joly, elle a une bonne formule d’ailleurs, je crois que c’est un copain qui l’a trouvée : coincée entre la gauche molle et la gauche folle. Une erreur de casting absolue, on comprend rien de ce qu’elle dit, d’ailleurs tout le monde s’en fout. Les écologistes avaient un bon candidat c’était Nicolas Hulot ».

- (Nicolas Dupont Aignan) « c’est le mini gaulliste tout piti piti. Le gaulliste de poche, au début ça commençait bien et à la fin son espèce de discours absolument incroyable sur le protectionnisme, etc.  ». 

Journalistique ? On serait dupe. Ce n’est que le faux semblant utilisé pour les conversations politiques du café du commerce. Chacun a bien droit à ses opinions. D’ailleurs, Franz Olivier Giesbert a trouvé des qualités à Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy qu’il connaît très bien. C’est le droit d’un journaliste de droite, dirigeant un hebdomadaire de droite (Le Point). Il faut parfois donner le change en affectant quelque distance avec les puissants mais il faut aussi savoir les limites de l’indépendance à l’égard des propriétaires. Franz Olivier Giesbert les connaît et s’y soumet. Ce n’est pas si difficile quand on n’a rien à dire de dérangeant.

Un autre éditorialiste, aussi énervé par la perspective d’une défaite électorale de son parti, n’a pu s’empêcher d’éructer au même moment. Ce n’est pas faute de lieu d’expression puisque Jean-Michel Apathie aligne les préjugés sur plusieurs chaînes de télévision et de radio avec une morgue naïve. Sur le plateau de Media, le magazine (France 5, 15 avril 2012), il n’y avait pourtant personne pour le contrarier :

« Je pense que c’est une campagne qui nous laissera un profond malaise. Parce que c’est une campagne de bouc-émissaire. Les difficultés que vit la France c’est la faute des banquiers, des financiers, des Allemands, des riches, des patrons accessoirement des journalistes qui sont toujours des personnages très secondaires sur la scène politique. Et tous les acteurs de la campagne présidentielle ont désigné des responsables surtout dans le monde de la finance. Moi je suis frappé, les riches, les patrons, on devrait tous être au Smic pour être heureux. C’est une campagne artificielle fausse, presque calomniatrice. C’est une campagne dont nous sortirons, collectivement j’entends, abîmés. Si les responsables politiques ne veulent pas analyser les raisons qui nous ont amenés où nous en sommes, les trente années d’échec de politique industrielle, de politique de l’emploi, de politique budgétaire, si eux ne veulent pas l’analyser et disent c’est la faute...qu’est-ce qu’il dit François Hollande ? Qu’est-ce qui reste du Bourget ? : L’adversaire c’est la finance. Mais la finance n’est pour rien dans les déficits que nous connaissons, dans les problèmes elle n’y est pour rien. Simplement l’adversaire c’est la finance c’est un mot d’ordre fédérateur, qu’au fond Nicolas Sarkozy reprend à sa manière, que les journalistes ne pèsent de rien face à la force de ces discours là. Mais on se réveillera malades de cette campagne ! Malades ! […]

Nous sommes sur une scène politique qui n’est pas réglée. Cette année Philippe Poutou et Nathalie Arthaud disent la même chose. Pourquoi est ce qu’il y a deux candidats trotskistes ? Aucune utilité dans le débat public. Même un candidat trotskiste ! Ce n’est pas une chose qui exprime une modernité formidable, hé bien nous avons ça ! On demande aux médias de supporter le non règlement de la scène publique ».

Nos éditorialistes sont tellement habitués à pouvoir dire n’importe quoi du haut de leur rente de situation qu’ils éructent à la première contrariété. Voilà un bilan malheureux de cinq ans de sarkozysme, un système de placement de journalistes sûrs aux places stratégiques. Un hiatus est ainsi apparu de plus en plus criant : comment la parole est-elle aussi concentrée au profit d’une oligarchie médiatique dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle ne brille pas par l’intelligence. Pour le contrôle de la parole publique, la médiocrité est une qualité, une garantie presque, tant cette oligarchie a des traits de plus en plus gérontocratiques. Ils vieillissent sous les projecteurs. Au moins, ceux-là ne risquent-ils pas d’avoir des pensées originales, au moins ne risquent-ils pas de prendre une distance critique à l’égard des maîtres qui les nourrissent.

Après avoir conforté la médiocrité, le système des dépouilles a mis le pays dans une triste situation. Un grand coup de balai serait nécessaire mais il est improbable qu’un nouveau président s’y risque tant les cris d’orfraie sur la démocratie attaquée sont à prévoir. Il le fera modérément dans les médias publics tant les abus ont été évidents. Ailleurs, la propriété privée des médias interdit imparablement de changer les serviteurs de la bourgeoisie d’affaire. Celle-ci n’entretient pas des médias pour contribuer à la démocratie mais pour soutenir son activité économique et promouvoir ses intérêts politiques. On peut le regretter mais il en va ainsi. Tout au plus pourrait-on suggérer aux propriétaires de journaux, radios, télévisions privées de changer d’hommes de paroles. Il y a tant de journalistes jeunes et talentueux qui ne sont pas fatigués de répéter toujours les mêmes choses. Une occasion pour un peu de sang neuf. Derrière la panique de journalistes de droite confrontés à la défaite de leur camp, il y a en effet la panique de « grands journalistes » qui pourraient être poussés dehors par les « petits journalistes ». Dans cette « grande peur », les images contre révolutionnaires affleurent comme les fantasmes brutalement sortis des replis les plus secrets du cortex de nos éditorialistes.

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