Pur produit de la vision sondo-médiatique de la compétition présidentielle, on attend depuis plusieurs mois un « troisième homme ». Ou « femme », corrigeaient malicieusement les commentateurs en pensant à la candidate du FN. Ce n’était qu’une virtualité pour mettre un peu de suspense dans une compétition organisée – largement par les sondeurs et les journalistes – autour de deux candidats principaux. Le "troisième homme ?" Un correctif à l’ennui, distillé par ceux-là mêmes qui le produisent. Une bonne idée ?
Cette petite invention est apparue en 2002 quand la compétition paraissait d’avance corsetée par le duel entre Jacques Chirac, président de la République sortant et Lionel Jospin, Premier ministre. Les sondeurs évoquèrent alors un « troisième homme » à propos de Jean-Pierre Chevènement au détour d’un petit frémissement des intentions de vote. Ils avaient quelque mal à se rendre à l’évidence, mais si quelqu’un pouvait perturber le duel prévu, c’était Jean-Marie Le Pen. Il leur était difficile de redresser suffisamment les chiffres bruts. Il est toujours difficile pour un sondeur de multiplier par 2 et plus tant cela jette le doute sur la sincérité des sondés et donc sur la pertinence même du sondage. En fait de troisième homme, il y eut un deuxième homme avec la qualification surprise de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour, sans qu’aucun sondage ne l’annonce, contrairement à des déclarations amnésiques d’aujourd’hui. La tentative de 2007 fut plus heureuse si on en juge par le score du « troisième homme » annoncé et confirmé, François Bayrou qui obtint 18 % des suffrages. Décevant tant la logique de la promotion d’un troisième homme est bien de le voir déjouer les pronostics pour passer devant un favori au moins. Cela s’est d’ailleurs bien vu quand François Bayrou, pas encore promu, attaquait régulièrement les sondeurs mais, à la vue de sondages encourageants, ne pouvait s’empêcher de se vanter de sa progression et donc, de mettre en valeur les sondages. Euphorie et incohérence. En cette occasion, il apparaissait bien quelle était la difficulté des candidats face à des instruments d’intimidation qui permet aux sondeurs de dire qu’on les critique quand ils sont défavorables et les adule lorsqu’ils sont favorables. Un piège.
Or, voilà que les sondeurs et journalistes semblent avoir trouvé leur troisième homme en la personne de Jean-Luc Mélenchon. Dernier en date, un sondage de LH2-Yahoo (31 mars 2012) le place en troisième position avec 15 % d’intentions de vote et une progression de 4 points. Quelles qu’en soient les raisons, qualités de débatteur et de tribun au sommet de son art, - particulièrement visibles au regard des concurrents - bonne organisation de campagne, radicalisation à gauche de nombreux citoyens mais aussi artefact sondagier, on peut supposer que le candidat averti ne tombera pas dans le piège de l’euphorie et de l’incohérence.