S’il fallait une confirmation supplémentaire de l’inanité de la défense démocratique des sondages, il suffirait de se reporter à la conférence de Eric X. Li sur la voie chinoise [1].
Devant le parterre choisi d’un vaste auditorium, Eric X Li évoque, en anglais et graphiques à l’appui, la satisfaction record des « Chinois » à leur système politique. Selon les données comparatives du Pew Research Center – un organisme américain comme chacun sait – , la satisfaction de l’opinion publique chinoise est énorme : pas moins de 85 % approuvent leur gouvernement et 93 % sont optimistes, quelques chiffres parmi d’autres, plus euphoriques les uns que les autres, non seulement records parmi les nations mais écrasants pour des pays occidentaux. Pauvre France avec sa défiance massive. Une humiliation ! [2]
Eric X. Li ne se satisfait pas confortablement de ces chiffres, il explique la performance chinoise. Une leçon pour les dirigeants si mal appréciés. Dans un vaste tableau de l’histoire contemporaine mondiale, il oppose les « metanarratives », certains diraient les grandes idéologies, qui se sont opposées. Le socialisme contre le capitalisme, puis les démocraties contre les pays non démocratiques. Bref en de vrais combats manichéens, le bien contre le mal. A chaque fois, commente-t-il, « the story was a bestseller ». Capable d’humour, Eric X. Li assure que la dernière, appuyée par des citations des présidents américains sur un écran de fond, qui conditionnerait le développement au progrès de la démocratie, et précisément au vote, est la dernière illusion proposée à l’humanité : dans la société atomistique des individus rationnels, les électeurs devraient choisir forcément un bon gouvernement. Cet autre bestseller de la nouvelle « seule voie de salut », les Chinois ne l’ont pas acheté.
Or la Chine connaît le plus fort développement de l’histoire en étant devenue la deuxième puissance économique – la première devine-t-on bientôt - en ayant enrichi l’immense majorité de sa population, etc. Comment se peut-il que ce bond se produise dans un système de parti unique, un pays où il n’y a pas d’élections ? « Rien de cela n’aurait dû arriver », triomphe Eric X. Li. Sans la trinité de cette réussite : adaptabilité, méritocratie, légitimité. Les dirigeants sont mobiles, ne restent pas trop longtemps en place et viennent dans leur immense majorité du peuple et non des élites. Les réformes sont permanentes et menées par les meilleurs experts. Enfin, l’élite dirigeante émerge d’une sélection drastique du personnel politique selon un système de « rotation pyramidale » depuis la strate inférieure de 900.000 personnes jusqu’aux 30 personnes du sommet. En contraste, finit Eric X. Li, les pays ayant adopté l’élection accumulent les mauvaises performances, les pays émergents nouvellement convertis, et les gouvernements des pays démocratiques connaissent un cycle perpétuel d’élection et de regret (« perpetual cycle of elect and regret »). Dans un temps où les alternatives manquent, les dirigeants occidentaux et spécialement français seront sans doute intéressés par cette leçon chinoise de science politique : supprimer le vote. On pourrait alors se fier aux sondages. Evidemment ce n’est peut-être encore qu’un méta-récit. Il reste à savoir s’il sera ou non un bestseller.