observatoire des sondages

Pour qui le FN est-il dangereux ?

jeudi 23 décembre 2010

« Danger », ont immédiatement clamé les politologues médiatiques. La provocation de Marine Le Pen assimilant les prières musulmanes dans les rues à l’Occupation - un sacré culot pour un parti d’extrême droite ! - a immédiatement défrayé l’actualité médiatique. Cela marche ainsi. Pourquoi s’en priver ? Pour déclencher ce « bruit médiatique », il existe une liste de sujets plus incendiaires les uns que les autres. La difficulté, puisqu’il y en a une, est de doser de manière à ne pas risquer la sévérité des tribunaux. Les sondages arrivent à la suite pour enregistrer l’écho de la provocation. Un sondage Ifop-France Soir (15 décembre 2010) assurait que « 39 % des français » approuvaient et 54 % des sympathisants UMP. Cela redoublait l’étonnement des commentateurs. Par un coup médiatique aussi simple, chacun s’interrogeait alors sur l’avantage pris par Marine Le Pen dans la lutte interne au FN et dans le feuilleton de la présidentielle de 2012. Dans les colonnes et sur les plateaux, on envisagea même la possibilité d’un « 21 avril à l’envers ». La « théorie du moment », selon l’expression d’un journaliste du Figaro, affolait les rédactions. Une formule provocatrice et un pourcentage issu d’un sondage auprès d’un panel d’internautes, il n’en faut pas plus.

Danger ? Risque ? Angoisse des états-majors, selon une autre expression employée ? Dans les partis politiques, on raisonne suffisamment en terme d’intérêts pour imaginer que la montée du FN n’angoisse guère les partis d’opposition. Il en a été autrement au sein de l’UMP. Ce fut peut-être seulement une inquiétude mais suffisante pour que des politologues réagissent. En service commandé. Dans une pleine page du Monde (19-20 décembre 2010), offerte par le service France, Dominique Régnier réagit donc aux craintes internes à l’UMP où l’on répète que la clef de la réélection de Nicolas Sarkozy passe par sa capacité à rééditer sa prouesse de 2007 : la capture d’une partie des voix du FN. Comment contrecarrer cette perspective d’une défaite électorale après les mauvais résultats électoraux de 2009 et 2010, une cote de popularité sinistrée et un socle de voix potentielles qui n’a jamais été aussi bas pour un candidat qui ne bénéficie manifestement pas de la prime légitimiste qui avantage d’habitude le titulaire d’une fonction officielle ? Une stratégie consiste à crier « au loup », en stigmatisant le FN comme l’adversaire de la démocratie et en prévenant déjà que la défaite de la majorité en 2012 amènerait des membres de l’UMP vers le FN. Attention de ne pas affoler les troupes cependant : « je crois qu’il faut savoir se taire » assure sans rire le politologue de l’UMP.

Ce ne serait pas une opération de communication s’il n’y avait qu’une seule vigie. Un autre membre de Fondapol, Pascal Perrineau, lui aussi universitaire, y est allé de son couplet sur le « danger » FN (Talk Orange - Le Figaro, 17 décembre 2011). Pas de différence avec le précédent comme si des éléments de langage avaient été distribués. Il suffit d’entendre évoquer un « 21 avril 2002 à l’envers », soit la possibilité de la présence au second tour de la candidate de FN face à un candidat de gauche, et donc à la place du président sortant, pour mesurer l’angoisse. A moins que cette « théorie du moment » ne soit qu’un faux semblant. Face à la possibilité improbable et très éloignée de l’échéance électorale, il s’agirait de prévenir une dérive d’électeurs UMP tentés de prêter une oreille attentive aux sirènes frontistes. En somme, une transposition du principe de précaution à la politique partisane.

Ainsi va ce qu’on appelle la vie démocratique : à coup de petites phrases, de sondages et d’écho médiatique. Pour en maîtriser les modalités, il faut connaître les coulisses. Le public les devine souvent. Par bribes. Pour prévenir les réactions de lecteurs critiques, les médias prennent parfois le parti prudent de la transparence. Ainsi, instruit par quelques anciennes réactions vives, Le Monde publie-t-il, pour accompagner l’interview de Dominique Reynié, une note sur Fondapol à la fois prudente puisque le think tank est défini selon ses propres termes comme « libéral, progressiste et européen » et suffisamment précise pour que l’on apprenne qu’il a été créé par Jérôme Monod et qu’il est aujourd’hui présidé par Nicolas Bazire, proche de Nicolas Sarkozy. Cela n’empêche pas son directeur de revendiquer « l’indépendance financière » d’un organisme dont on apprend encore - luxe de précautions - qu’il est financé par des dons privés mais aussi par l’Etat puisqu’il est reconnu d’utilité publique. Il fallait oser revendiquer le financement public d’un think tank du parti politique gouvernemental comme une garantie d’indépendance. Il est vrai qu’il ne s’agit pas d’indépendance intellectuelle.

En d’autre pays, on s’étonnerait qu’un think tank « libéral » reçoive des fonds publics. Les libéraux ne s’étonneraient pas qu’il soit largement parrainé par les milieux d’affaires comme le montre le site de Fondapol. Les plus indulgents assureront que c’est l’Etat qui finance l’activité d’un cercle de pensée mais ont-ils tort ceux qui traduiront en disant que le gouvernement finance l’UMP ? L’incompatibilité doctrinale entre libéralisme et recours à l’argent public importe moins à d’autres que les conditions de l’indépendance intellectuelle. Par expérience et par raisonnement, elle est impossible dans cette situation. Il n’est même pas besoin d’essayer pour savoir, sans être « libéral », que la liberté de penser ne peut exister si elle répond aux ordres d’un parti politique. Nous voudrions croire sur parole les protestations de principe de ceux qui assurent que par vertu et volonté, ils sont libres. Encore une démonstration du contraire.

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