Le projet de loi réformant le droit du travail présenté en conseil des ministres le 6 mars 2013 reprend pour l’essentiel, le texte de l’accord intervenu entre trois syndicats de salariés (CFDT, CFCT et CFE-CGC) et trois organisations patronales (MEDEF, CGPME et l’UPA). La CGT et FO ont en revanche refusé de le signer, le secrétaire général de FO, Jean-Claude Mailly le jugeant « profondément déséquilibré » au profit du patronat et au détriment des salariés (Usine nouvelle, 17 janvier 2013). Les élus du Front de gauche ont promis de tenter d’amender le texte en conséquence lors de son passage devant le Parlement. D’où sans doute la requête de Laurence Parisot adressée aux parlementaires : « Nous demandons d’abord que cet accord soit transcrit dans la loi tel quel. (Si ça n’était pas le cas), ce serait très problématique » et d’ajouter « Faisons confiance à la société civile » (France 3, 10 mars 2013).
La société civile ? Sont-ce ces sondés interrogés par BVA. Bonne nouvelle : "les Français" jugent bon cet accord (62%), (BVA-I>télé 8 mars 2013).
Il s’agit d’un sondage par internet, donc de sondés rémunérés, sélectionnés au préalable par téléphone pour être sûr que ces derniers soient bien disposés à l’égard du sondeur. On ne peut pas parler d’échantillon représentatif. Le sondeur a délibérément évité de questionner les sondés sur le contenu même de l’accord, se contentant de les interroger sur la connaisance de sa seule l’existence :
Question : D’après ce que vous en savez, l’accord sur le marché du travail signé notamment par le Medef et la CFDT, mais ni par FO, ni par la CGT, est-il globalement, un très bon, plutôt bon, plutôt mauvais ou très mauvais accord ? (* posée aux personnes ayant entendu parler de l’accord).
Les professionnels des sondages devraient savoir depuis longtemps que les sondés avouent rarement ou du moins avec réticence leur ignorance. Si 22% des personnes interrogées par BVA avouent toutefois ne pas avoir entendu parler de l’accord (par internet c’est peut-être plus facile), peut-on sans rire conclure qu’il suffit d’en avoir entendu parler pour savoir ce qu’il contient ? Et a fortiori le juger globalement bon ou non ? On retrouve ici le procédé des post-tests sur les prestations télévisées des personnalités politiques qui interrogent des personnes qui n’ont pas vu les émissions concernées mais qui en ont entendu parler.
Ruse de la raison, ce push poll nous fournirait-il une indication sur le niveau de connaissance des sondés ? 49% d’entre eux considèrent que cet accord favorise autant les employeurs que les salariés. Là encore, les "options de neutralité" dont les sondeurs truffent leurs questionnaires - une manière de pas prendre position - sont d’autant plus privilégiées que les sondés sont incompétents ou ignorants sur la ou les questions qu’on leur pose. "Délicatesse" bien opportune de la part d’un sondeur français, "laboratoire du salariat libéral" [1], qui a intérêt lui aussi à ce que cet accord méconnu mais "globalement bon" soit adopté en l’état par le Parlement.