Les 10 sondages que nous avons recensés, publiés au cours de ces dernières semaines respectivement par l’Ifop, Odoxa, Yougov et Elabe [1] – les deux majors français TNS et Ispsos ne s’y sont pour l’instant pas risqués - sont donc des sondages comme les autres. Hors de question pour eux de déroger à la pratique ordinaire pour laquelle la moindre complexité est synonyme de fioriture et de perte de temps. Tous les biais sont donc pour ainsi dire permis et toutes les confusions envisageables. Du pain bénit pour les politiciens.
Le choix des termes migrants et réfugiés pour désigner ceux qui tentent de fuir leur pays en constitue la première illustration. Que ces vocables, aux connotations relativement distinctes, recouvrent des situations et des motivations différentes pouvant éventuellement s’entremêler ne facilite pas la lecture et la compréhension par les sondés, dont on peut par ailleurs parier que la très grande majorité connait peu sinon rien à la question. Cela justifiait-il pour autant d’ajouter une dose supplémentaire de confusion et de suspicion à l’égard des Syriens ? Puisque c’est également d’eux dont il s’agit.
Quelques points marquants
"Des migrants qu’il faut traiter comme les autres" suggère Odoxa ( I>télé, Paris Match, 4 septembre 2015 ; I>télé, Paris Match, 11 septembre 2015) qui demande curieusement "s’ils méritent plus que d’autres un meilleur accueil ?" (Le Parisien, 6 septembre 2015). Aucune indication sur ce que le sondeur entend par "meilleur accueil" ni sur le sens de "comme les autres" ou sur le "mérite" comparé des uns et des autres.
L’Ifop donne un avant-goût des sous-entendus de son concurrent. 25% des sondés avouent toutefois leur ignorance.
D’après ce que vous en savez, les migrants qui arrivent actuellement en Europe par milliers...?
"sont plutôt des personnes sans formation professionnelle ni expérience professionnelle et "trouveront difficilement du travail dans notre pays" (50%).
"sont plutôt des personnes qui ont été, bien formées dans leur pays, et qui disposent déjà de compétences professionnelles qu’elles pourraient facilement utiliser dans notre pays". (25%).
"Ne sait pas" (25 %).
Sont-ce les scrupules ou un éclair de rigueur méthodologique qui ont poussé à ajouter l’option NSP ? Remarquons qu’une seule proposition aurait pu être employée : d’accord/pas d’accord comme le font régulièrement les sondeurs. En tout cas, 25 % de NSP, cela fait beaucoup.... sachant que cette option est généralement "oubliée". On se demande que penser des 75 % qui ne l’ont pas choisie. Car ils se trompent tous. Sans doute piégés par la question. Les deux types de populations composent le flot des réfugiés forcément s’ils sont nombreux. Il ne s’agissait donc pas d’une question d’opinion mais d’une connaissance factuelle que les sondés n’ont pas et pas grand monde d’ailleurs faute d’étude statistique sur les réfugiés. Il est vrai que les sondés ont répondu en fonction d’autres critères politiques sur le sujet. A la fin des deux propositions (la capacité à trouver du travail) y incitait. Suggestif pour des gens par ailleurs probablement peu experts en marché du travail. Le commanditaire, du moins officiel, de "l’enquête" est le très à droite site internet Atlantico.fr. Une autre question faisait en outre le lien avec des peurs et des positions idéologiques :
"Etes-vous tout à fait d’accord, plutôt d’accord, plutôt pas d’accord ou pas d’accord du tout avec l’opinion suivante « Parmi les très nombreux migrants qui arrivent actuellement en Europe se trouvent également des terroristes potentiels ». (Ifop-Atlantico, 5 septembre 2015).
Au delà de l’insinuation grossière, joli lapsus du sondeur qui à vouloir évoquer la présence éventuelle de terroristes parmi les réfugiés (hypothèse toujours possible), déclare que tout réfugié est susceptible de le devenir, et donc de l’être déjà, presque.
Encore une fois, il y avait une réponse de fait car bien entendu, il se trouve également des terroristes potentiels - sur le nombre ! - et même à "coup sûr" des terroristes actuels.
Les sondeurs ne sont pas à une incohérence ni à une contradiction près. Leurs questionnaires proposent en effet aux sondés, qui y consentent majoritairement, une intervention militaire en Syrie (Odoxa-I>télé, Paris Match, 4 septembre 2015, Odoxa-Le Parisien, 6 septembre 2015 ; Ifop-JDD, 13 septembre 2015). Ils refusent d’accueillir des réfugiés Syriens, craignent des actes terroristes mais seraient favorables à la guerre. Terrestre ou aérienne ? Une vraie question. Seule la guerre terrestre est jugée efficace ? Faute de vouloir ou pouvoir les recevoir ? On ne le saura pas comme les raisons qui incitent les sondés à s’opposer à leur accueil par la France.
Autre curiosité, les sondés d’Odoxa refusent majoritairement l’accueil de réfugiés mais acceptent le principe de quotas entre pays européens. Que dire encore de la question sur les qualités comparées de l’accueil entre la France et l’Allemagne ? Jugées à 44% ni meilleure ni moins bonne. Manière de dire que l’on n’en sait rien. Notons enfin que 5 sondages sur 10 sont publiés sans notice détaillée, ceux de Elabe et YouGov.