On se rappellera celles déclenchées par le burkini à l’été 2016. L’Ifop n’avait pas manqué de s’en mêler arguant que 64% des Français (en plein mois d’août) y étaient opposés sur les plages. Le sondeur a récidivé cet été. Sondage passé inaperçu [1]. L’épidémie de covid 19 n’y est sans doute pas étrangère.
Ce qu’il convient ou non de porter à l’école est depuis « toujours » sujet de discordes entre élèves, enseignants et chefs d’établissements scolaires. C’est à la faveur de remontrances adressées à des collégiennes et lycéennes immédiatement signalées sur les réseaux sociaux (twitter, Tik Tok, etc.), que ces tensions récurrentes ont acquis en quelques jours une ampleur nationale. Se transformant rapidement en une nouvelle dénonciation du sexisme (sous le nom #Lundi14septembre...) [2], des collégiennes et lycéennes fustigeant les vexations et injonctions vestimentaires qu’elles subissent régulièrement et le « tenue correcte exigée » qui figurent dans les règlements intérieurs des établissements, ou plus exactement l’interprétation qui en est faite trop souvent.
Après la déclaration embarrassée de M. Blanquer ministre de l’Education Nationale prônant une mystérieuse « tenue républicaine » et le soutien en revanche sans ambiguïté du mouvement de protestation de M. Schiappa, ministre déléguée chargé de la citoyenneté, l’Ifop et le Magazine Marianne sont venus y mettre leur grain de sel (Marianne, 24 septembre 2020). Une intrusion que n’ont guère gouté, en autres, les initiatrices du #Lundi14septembre, ne voyant dans ce sondage qu’une illustration de plus du sexisme ambiant qui frappe collégiennes et lycéennes en France. On peut les comprendre même si c’est surtout parce que les résultats ne leur plaisent pas.
C’est l’occasion de rappeler en quoi consiste en réalité la quasi totalité des soi-disant enquêtes des sondeurs et de ceux qui y répondent. Des QCM particulièrement sommaires et rustiques, calqués sur les enquêtes de « satisfactions clients ». La polysémie est rarement la préoccupation des rédacteurs, le vocabulaire et la phraséologie y demeurent simplistes. Le sondé doit pouvoir répondre facilement et rapidement sans avoir à (trop) réfléchir.
Autant dire sur que des sujets aussi sensibles qui portent sur des apparences, plus encore celles des jeunes, c’est une méthode d’enquête totalement inadéquate. L’Ifop a cru pouvoir éclairer malgré tout le « jugement » de ses sondés en agrémentant son QCM de croquis figurant (par exemple) trois silhouettes de poitrines féminines (cf. ci-dessous).
On imagine la réflexion du sondeur : des dessins valent mieux qu’un long discours. Faut-il être à ce point aveugle pour croire que des croquis pouvaient « résumer » la situation, et qu’il ne s’agissait en somme que d’une simple histoire de chiffons ? C’était sans doute trop demander au responsable du sondage (cf. Comment s’habille la jeunesse version Ifop).
Du côté des sondés, le tableau n’est guère plus reluisant. Les échantillons de sondages en ligne pâtissent en effet depuis leur apparition d’un défaut de représentativité. Les statisticiens le reconnaissent sans hésitation. Seuls les internautes plus motivés par le sujet répondent. Les sondés sont en outre payés (la plupart du temps en points cumulables, convertibles in fine en bons d’achat). Cette pratique destinée à contrecarrer une tendance générale, ancienne elle aussi, le refus de répondre aux sondages, n’en est pas moins un biais notoire. On ne corrige pas un biais par un autre. Dans le cas présent l’Ifop en a ajouté encore un, et de taille. Une partie importante des internautes « interrogés » ne sont pas absolument concernés par le « problème ». Ceux qui n’ont pas ou plus d’enfants scolarisés notamment les personnes âgées - pour ne rien dire de ceux dont les enfants sont scolarisés dans l’enseignement privé - qui sans surprise sont les plus opposés aux figurations exposées faisant « basculer » la majorité des avis en faveur de l’interdiction des tenues vestimentaires sujet, initial de la polémique.
Rappelons enfin, sans entrer dans le détail, les problèmes majeurs que représente l’omniscience que les sondeurs prêtent depuis toujours aux sondés, et auraient un avis sur tout, prêts à le donner. Les entreprises de sondages se sont adaptées bien sûr à la généralisation des smartphones comme terminal numérique privilégié. Répondre (réagir ?) à leur QCM est simple et rapide, on peut le faire de partout et dans nombre de situations, pour tuer le temps. La qualité, la sincérité, les compétences requises éventuellement y répondre sérieusement importe peu. Les sondés ont un avis sur tout et n’importe quoi disent en substance les professionnels de la doxosophie. Soit, ils peuvent donc dire tout et n’importe quoi, comme sur les réseaux sociaux, si tant est que cocher des cases de QCM simplistes et biaisés puissent avoir du sens, ou être raisonnable. Le sondage de l’Ifop n’échappe pas à la « règle ».