observatoire des sondages

Un sondage BVA sur Ségolène Royal : manipulation et inculture

dimanche 13 décembre 2009

Encore un sondage parfaitement manipulatoire. Mais cette fois, il fait réagir car il s’attaque à des intérêts électoraux. Un sondage BVA – Canal + effectué par internet du 9 au 10 décembre 2009 assure qu’une « majorité relative de Français pense que (Ségolène Royal) devrait abandonner la politique ». Parmi d’autres, Le Monde [1], Libération [2], Le Nouvel Observateur [3], l’Express [4], Le Figaro [5] reprennent « l’info » puisqu’il est convenu chez les journalistes d’appeler « info » une donnée de sondages quelle que soit sa valeur. Le député PS Guillaume Garot s’indigne en dénonçant un sondage « trash » (il aurait pu aussi bien dire « pourri ») et en appelle à la commission des sondages. Il dénonce la falsification mais s’avère incapable de dire laquelle. Dans tous les cas, du sondeur, du député et de la presse, l’inculture critique est ahurissante. Qu’est-ce qui ne va pas dans ce sondage ?

Comme nul ne l’a remarqué, cette enquête n’est jamais qu’"une" question et elle est posée à un échantillon de sondés de 15 ans et plus. Est-il prévu de baisser l’âge de vote ? Cela signifie surtout que la question a été adressée au panel habituel des internautes de BVA. Prétendre qu’un panel d’internautes est « représentatif » est une escroquerie. Pas cher, oui ; représentatif, non. La relation d’enquête influe en outre sur les réponses comme de nombreuses études l’ont montré. La question posée aux internautes est ce qu’on peut appeler une question « pousse-au-crime » qui convient bien à un public d’internautes portés à des réponses lapidaires. Sur les minarets comme sur l’invitation à « aller se faire voir ailleurs », on peut être assuré que les internautes vont facilement trancher dans le vif. Surtout, quel est le sens d’une question sur Ségolène Royal posée à des électeurs de droite ? Bien sûr, ils vont proposer qu’elle se retire de la politique - peut-être à tort d’ailleurs car des sympathisants plus tacticiens pourraient prétendre le contraire - du moins vont-ils le proposer plus que des internautes de gauche. Cela est d’ailleurs visible dans la distinction entre sympathisants de gauche et de droite que fait le sondage BVA. Cette distinction fondée sur l’auto-déclaratif sans contrôle a été déjà utilisée par les sondeurs à l’occasion de la lutte pour l’investiture socialiste à l’automne 2006. Elle avait été déjà accusée de tromperie. Pas suffisamment semble-t-il puisqu’un sondeur récidive. Ainsi donc, on demande aux sympathisants de droite s’ils souhaitent que leurs adversaires se retirent de la politique.

Absurde. Mais personne pour saisir encore une fois l’imposture. C’est dire l’ignorance généralisée en matière de sondages. Elle transparaît même dans le dérisoire recours à la commission des sondages, incompétente scientifiquement (comme sa composition suffit à l’établir), incompétente légalement comme elle va sans doute le faire savoir même si ce n’est pas vrai (une bonne occasion pour réclamer de nouveaux pouvoirs alors qu’elle ne se sert pas des siens) et surtout bienveillante pour ne pas dire complice avec les sondeurs.

Les sondeurs ? En l’espèce, M. Gaël Sliman franchit un degré supplémentaire dans l’imposture. On devinait depuis longtemps à leur manière de dire l’opinion, cette opinion qui dit, pense, hésite, refuse, approuve, à la manière d’une personne, qu’ils se posaient en porte-parole. En « doxosophes », disait très justement Pierre Bourdieu avec un mot trop compliqué pour convaincre par temps d’inculture. M. Gaël Sliman se prend tout bonnement pour un grand prêtre de l’opinion qu’il écrit d’ailleurs avec un grand « O ». Comme il écrirait Dieu avec une majuscule. La nouvelle religion est arrivée. Elle emprunte d’ailleurs ses recettes aux anciennes puisque Ségolène Royal subirait « une longue descente aux enfers ». Le grand prêtre égraine un chapelet de sottises. Il suffit de s’arrêter aux seules premières lignes :
« Ségolène Royal spectaculairement lâchée par l’Opinion » ; « Nul ne meurt jamais en politique » ; « De Chirac à Sarkozy […] en passant par Mitterrand (après l’Observatoire), Jospin (après 93) ou à Martine Aubry (revenue d’une longue hibernation dans l’Opinion entre 2002 et 2008), nombre de politiques ont fait mentir – voire ont ridiculisés – ceux qui les avaient donné morts après de lourds sondages ou de lourds revers électoraux ». Précisons que l’affaire de l’Observatoire [6] compromit François Mitterrand en 1959, date où l’on ne faisait pas encore de sondages stupides et manipulatoires. Ne parlons même pas de la suite d’un commentaire atterrant. Il est permis à M. Gaël Sliman d’avoir fait des études supérieures médiocres, mais il faut bien se demander comment une telle sottise peut s’afficher sans vergogne sur France Inter, Orange, l’Express, France-Info [7] etc… La réponse n’est pas nouvelle mais toujours paradoxale quand on croit encore que l’intelligence, la science, la lucidité sont supérieures à l’inculture. Il faut être prolixe en sottises pour avoir accès à la parole publique. Cela nous plonge toujours dans un océan de perplexité.

Cela n’est-il pas assez grave ? Il reste pourtant une observation nécessaire. Ces internautes qui ont un avis sur la carrière de Ségolène Royal et qui, en l’exprimant, risquent bien de peser sur sa conduite, le font pour de l’argent ou pour participer à une loterie. Bref, ils sont payés. Personne ne l’a vu cette fois encore. Les sondages, c’est la démocratie nous rabâchent les sondeurs depuis des lustres. Ils ont dû convaincre au point de rendre aveugle.


[112 décembre 2009.

[212 décembre 2009.

[311 décembre 2009.

[411 décembre 2009.

[511 décembre 2009.

[6Suite au mitraillage de la voiture de François Mitterrand dans la nuit du 15 au 16 octobre 1959. L’auteur des coups de feu, qui s’était rapidement fait connaître, avait affirmé qu’il s’agissait en fait d’un simulacre organisé à l’instigation de François Mitterrand qui a toujours nié cette version des faits.

[7Cf. les publications de nombreux sondages BVA, commentaires compris.

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