observatoire des sondages

Le « retour » des poncifs

mercredi 16 novembre 2016

La défaite d’Hillary Clinton et par conséquent des sondeurs américains a contraint les sondeurs français à imaginer une nouvelle ligne de défense de leur profession : l’immunité. Le fiasco du 8 novembre est américain, impossible qu’il traverse l’Atlantique (cf. 21 avril 2002 - 8 novembre 2016 : quel parallèle ?). Les clichés sondagiers invoqués à chaque défaillance électorale des sondeurs n’ont pas disparu pour autant mais pour l’instant ce sont principalement les journalistes qui se sont chargés de la tâche.

A croire qu’ils se sont entendus pour se partager le travail. L’interdépendance et la connivence des sondeurs et de la presse sont suffisamment fortes pour qu’un accord explicite soit nécessaire. Cela s’est fait “naturellement”. L’antienne "un sondage n’est pas une prédiction" est, "naturellement" lui aussi, ressorti de la boîte à malices sondagière (cf. Du fiasco américain : le « pas nous pas nous » des sondeurs français). Le ton a certes un peu changé. Les multiples défaillances enregistrées par la profession ces dernières années ont-elles contraint les médias à adopter une posture plus "pédagogique" parfois "gentiment" critique ? On ne peut écarter l’hypothèse. Dans le même temps la consommation de sondages par la presse s’est considérablement accentuée. Elle a donc fini par intégrer les rudiments des discours doxosophiques. L’on sait pourtant que les membres des rédactions ne goûtent pas tous les fast foods des sondeurs (cf. par exemple Libération, 15 novembre 2016) mais le refus critique de cette nourriture toxique demeure une attitude rare, les promoteurs de la junk science ont bien fait leur travail, car même sous le sarcasme : les poncifs demeurent (cf. ci-dessous).

De la fausse impertinence

- "Ils se multiplient, notamment sur la primaire de la droite. Mais comment calculer un rapport de force politique, alors qu’on ne connaît ni les candidats ni le corps électoral ?".

La réponse à cette question posée le 7 septembre 2016 (deux mois avant le naufrage américain) par un éditorialiste de France Culture semblait toute trouvée : on ne peut pas. Donc on ne fait pas. Inutile de poursuivre.

et le journaliste de continuer...d’en "rajouter" :

- "La presse et les sondages c’est un peu comme avec la junk food : on sait que ça n’est pas terrible, parfois douteux, mais c’est difficile de ne pas craquer… Et on le regrette toujours un peu a posteriori".

Tout ça pour ça

- "Selon les méthodes, et par projection, on obtient entre... 500 000 et 12 millions de votants ! Tout dépend aussi de la question posée : l’intention de vote n’est pas la popularité, qui est elle-même différente du souhait de victoire.Tout bien considéré, il semblerait donc - ô surprise - qu’on ne soit pas ici dans le registre de la science exacte. "Une dialectique entre le réel et l’imagination", disait tout à l’heure Étienne Klein à propos d’Einstein. Et c’est bien la relativité qu’il conviendrait d’appliquer à ces chiffres trop souvent présentés comme absolus".

En résumé : un instrument de collecte de données confondu avec une science, requalifiée de non exacte (vu le peu de fiabilité de l’instrument) le tout saupoudré in fine de relativisme de comptoir (on entre dans un mort, ici Einstein, comme dans un moulin). Si la direction de France Culture souhaite un jour faire bénéficier à certains de ses journalistes d’une formation continue en sciences sociales, il y a potentiellement des candidats.

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