« Le Front National premier parti de France » [1] ? La presse n’est pas avare de titres tonitruants pour attirer l’attention. Le FN exerce un tel mélange d’excitation-répulsion qu’on n’ose imaginer les mêmes journalistes dans l’Allemagne des années 30. Ce serait une erreur : il manquait une condition sine qua non de cette posture éditoriale : les sondages. Il faut leurs chiffres pour oser ces formulations sensationnelles.
Celui du sondeur CSA pour BFM TV et Nice Matin sur le scrutin des européennes de juin prochain (BFM TV ; Nice Matin, 25 avril 2014), comme il y a 6 mois celui de l’Ifop pour le Nouvel Observateur (cf. Un faux IFOP-Nouvel Observateur : 24 % pour le FN) suscite la même fascination, les mêmes commentaires et la même titraille :
« Élections européennes : le FN, premier parti de France ? » (Metro News, 25 avril 2014). Il faut prendre le point d’interrogation à sa juste valeur : rien.
« Selon un sondage du CSA pour Nice-Matin et BFMTV, le Front national obtiendrait 24% des suffrages, en faisant le premier parti de France », (Le Figaro, 24 avril 2014).
« Les sondages se suivent et se ressemblent à un mois des élections européennes : le Front national se positionne comme le premier parti de France », (Le Parisien, 2014, 25 avril 2014).
Ces sondages sont réalisés avec les mêmes biais que les précédents :
En ligne à partir d’un échantillon non représentatif de sondés rémunérés.
Réalisés sur la base d’une seule circonscription nationale qui n’existe pas dans le scrutin réel.
L’abstention est évaluée (à un mois du scrutin) à 65% de l’échantillon en fonction de la certitude des sondés (calculée sur une échelle de 1 à 10). Mais les intentions de vote ont été établies sur la base de 81% de l’échantillon. 19% des internautes interrogés refusant de dévoiler leurs intentions. Singulier résultat que celui intègre dans les intentions de vote des électeurs potentiels classés par ailleurs comme abstentionnistes.
Pur coïncidence sans doute, à moins qu’il ne s’agisse du fruit miraculeux des recettes et autres « techniques » de redressement des résultats bruts, jalousement gardés par les sondeurs : le résultat du Front national de CSA est identique à celui obtenu par l’Ifop 6 mois plus tôt : 24%.
Suffit-il d’un scrutin, particulièrement déserté de surcroit pour en tirer une implication aussi générale ? N’y a t-il pas des fictions que les annonces font exister comme le dit le théorème de Thomas ? On en vérifie le début de réalisation par la fanfaronnade de Marine Le Pen pour laquelle le « FN est le premier parti de France » (L’Express, 7 octobre 2013). A force de le dire, cela pourrait-il devenir vrai ?