Cette fois c’est la chronique science de la chaine (défense de rire) qui s’en est chargée [1] . Comme on pouvait le prévoir (le directeur est toujours Jean-Philippe Baille [2]), le vernis scientifique des propos relatifs aux sondages sur les législatives n’est qu’un leurre. Un rappel succinct des pré-requis statistiques que doivent respecter les sondages n’est certes pas superflu (taille de l’échantillon, marge d’incertitude, etc.), mais l’intérêt de l’exercice s’arrête-là. Qu’en est-il dans la réalité ? On ne le saura pas. Pour une chronique scientifique fut-elle courte c’est un peu cavalier. Connaitre la réalité et l’évoquer rapidement était-il trop coûteux ? Dans tous les cas ni en temps ni en calories.
Le site internet de la commission des sondages que la journaliste dit avoir contactée, sans rien connaître à l’évidence de la réalité effective et de la portée de son action, permet de le savoir en peu de gestes. Quelques exemples (sans parler même des sondés qui refusent d’indiquer leurs intentions).
583 sondés « certains d’aller voter » pour Opinionway (Les échos 14 juin 2024)
596 sondés « certains d’aller voter » toujours Opinionway Cnews, Europe1 JDD, 14 juin 2024)
784 sondés « certains d’aller voter » Ifop-Fiducial, leFigaro, LCI, Sud radio, 11 juin 2024)
Les sondeurs sont donc loin de tous respecter les pré-requis, qui sont disent-ils les leurs, et communément admis par les statisticiens sérieux. Ceux qui les « respectent » n’en sont pas pour autant de bons élèves puisque eux comme les autres fabriquent des intentions de vote sans tenir compte des caractéristiques fondamentales du scrutin législatif (uninominal, majoritaire à deux tours, local). Une paille manifestement pour la chroniqueuse qui évoque certes une impossibilité pratique sans voir que l’obstination des sondeurs en fait des contrefacteurs (cf. Contrefaçon électorale : des projections en siège hautement fantaisistes).
Le reste de la chronique est à la hauteur de son ignorance. Quitte à donner dans le rappel de la statistique sondagière et de fiabilité des résultats, elle oublie, mais le sait-elle, que les intentions de vote (contrairement aux autres type de sondage) ne sont pas publiées telles quelles. Elles font l’objet d’un redressement de la part des sondeurs. Chacun d’entre eux applique sa méthode toujours aussi obscure. Secret industriel clament-ils en coeur pour refuser de dire comme ils opèrent précisément. Invoquer le secret des affaires alors qu’il s’agit de désigner in fine les représentants politiques des Français est un pousse-au-crime qui continue de perdurer. Alors oui comme elle le dit les sondages par internet sont plus rapides à fabriquer et à exploiter, mais ils sont surtout moins beaucoup chers. Non la représentativité des échantillons n’est pas mieux garantie par internet que les « anciennes » méthodes, c’est plutôt le contraire. Premièrement parce que les critères représentatifs discriminant utilisés depuis toujours par les sondeurs sont singulièrement rustiques. Deuxièmement ceux qui répondent (a fortiori ceux qui composent les panels en ligne), les statisticiens le rappellent aussi dans la presse (« Des experts mettent en cause la pertinence des sondages en ligne », Le Monde, 27 mars 2023) ne sont pas représentatifs. Et pas uniquement parce que les dispositifs anti-piratage sont faibles (cf. « Dans la fabrique opaque des sondages », Le Monde, 4 novembre 2021). Le désir de répondre constitue depuis toujours un biais majeur des enquêtes par sondages or seules les personnes les plus motivées et/ou les plus politisées répondent aux sondages en ligne. Last but not least leur motivation est rémunérée, entretenue par des cadeaux et autres bons d’achat.
Le dernier rappel bien connu servi ad nauseam par tous les commentateurs à bout d’arguments relève de l’œcuménisme de comptoir :
« Le mot d’ordre reste vraiment la prudence dans leur interprétation surtout quand la date du scrutin est encore loin ». Amen !
Quoi qu’on puisse penser des auditeurs fidèles ou non de Franceinfo, ils n’ont pas mérité ça. Certes les journalistes scientifiques sont beaucoup moins nombreux que leurs autres confrères mais ils existent.