Le Monde a publié le premier épisode d’un feuilleton sondagier sur l’élection présidentielle de 2012 [1]. Rien de bien surprenant en somme dans une opération qui conjugue promotion médiatique, communication politique et une apparence de science.
Promotion médiatique ? Rien de plus normal pour un quotidien de rendre compte de l’actualité fort longue d’une campagne électorale et qui semble-t-il doute de sa capacité à le faire sans sondage.
Communication politique ? On voit mal quel peut-être l’apport de think tanks comme Fondapol et la Fondation Jean Jaurès, le premier lié à l’UMP, le second au Parti socialiste, sinon comme caution politique pluraliste de cette opération. Evidemment la bipolarisation est déjà dans les colonnes avant d’être dans les urnes. Des candidats peuvent se sentir lésés.
Apparence de science ? La présence du Cevipof, laboratoire de sciences politiques arrimé au positivisme le plus dépassé ne suffit en aucune manière à rendre scientifique une enquête hautement contestable :
Pour la première fois semble-t-il en France, un sondage en ligne fondé sur un panel de sondés interrogés en plusieurs vagues est utilisé sur des intentions de vote. Sachant que la représentativité des sondages en ligne est problématique, il ne suffit pas d’afficher un effectif de 6000 internautes comme le fait Le Monde pour rendre l’échantillon représentatif. Car on sait que ces internautes volontaires répondent par conviction politique et par intérêt pour une gratification matérielle. Au fait, combien ces internautes sont-il rémunérés ?
Comment vont être redressées les intentions de vote pour Marine Le Pen ? (Les votes FN étant moins sous-déclarés en ligne que par téléphone). Comment vont être redressés les votes de Jean-Luc Mélenchon ? (Il n’y a pas eu de référence similaire dans le vote de 2007), etc. Les lecteurs du Monde ne le sauront pas car la loi de 1977 n’oblige pas à publier les redressements. Elle n’interdit pas non plus leur publication. Vive la transparence.
Le feuilleton se fonde sur un panel de volontaires qui doivent donc être interrogés une dizaine de fois. Aucune précaution n’est ici prise contre « l’effet de panel » qui amène les sondés à prendre la pose, et en l’occurrence peuvent se sentir élus ou distingués, d’autant plus qu’ils seront réinterrogés à part en cas de changement d’intention de vote. Pour des volontaires un vrai pousse-au-crime. Quand on sait qu’en toute rigueur méthodologique les enquêtes scientifiques évitent les « effets de panel » en renouvelant partiellement les échantillons on a de quoi être surpris. La célèbre enquête de Paul Lazarsfeld, Paul Berelson et Hazel Gaudet, The people’s choice : How the voter makes up his mind in a presidential campaign n’interrogeait pas plus de deux fois les membres de son panel sur 6 vagues [2]. En 2006, le Cevipof avait lancé une enquête réalisée par l’Ifop et financée par le ministère de l’Intérieur en vantant le recours à des échantillons glissants. Une « nouveauté » était-il assuré, en réalité un vieux procédé. 5 ans après on apprécie la baisse de la rigueur méthodologique. Qu’importe la qualité pourvu qu’on ait la mesure.
A suivre......