observatoire des sondages

Retour sur les sondages des régionales (IV)

vendredi 30 avril 2010, par Nicolas Kaciaf

On ne peut appréhender l’activité sondagière en période électorale qu’à condition d’observer finement la composition des questionnaires. La formulation des questions et le choix des modalités de réponses fournissent de nombreuses informations sur les préoccupations des sondeurs et de leurs clients, principalement composés d’entreprises médiatiques. Imposant leurs propres cadrages de l’élection aux sondés, ces acteurs prédéterminent de la sorte les enjeux politiques et les interprétations médiatiques du scrutin.
Les questions posées sont d’ailleurs particulièrement redondantes. En effet, malgré la singularité des enjeux propres à chacune des régions, la plupart des 96 questionnaires recensés présentent un caractère standardisé. Les différentes entreprises de sondage disposent chacune d’un canevas de questions qu’elles appliquent plus ou moins systématiquement aux enquêtes réalisées, nationalement ou localement, à l’occasion des régionales. Par exemple, les quatorze sondages effectués en régions par TNS Sofres avant le premier tour comprennent une dizaine de questions-types (intentions de vote pour les deux tours, mesure de la certitude du choix, notoriété et popularité des têtes de listes, intérêt pour l’élection, évaluation du bilan de l’exécutif sortant, prévalence des enjeux régionaux ou nationaux dans les motivations du choix, etc.). Cette standardisation tient également au caractère barométrique d’enquêtes dont la répétition (les fameux « rappels ») donne à voir des évolutions dans le temps. Directement liées à l’actualité médiatique ou à certaines spécificités locales, un certain nombre de questions présentent toutefois une relative singularité.
Cette forte redondance des interrogations facilite le repérage et le comptage des thématiques dominantes dans les sondages publiés à l’occasion des régionales. Parmi les onze thèmes qui se dégagent, trois ont mobilisé chacun plus de 10 % de l’ensemble des questions posées : les intentions de vote et leur solidité (35 %), les raisons du choix électoral (16 %) ainsi que les questions relatives à la propension à aller voter (11 %).

Tableau n°1 : Thématiques des questions posées à l’occasion des élections régionales

nb de Questions
Questions (%)
Intentions de vote
146
35,2
Motivations du choix électoral
66
15,9
Participation et abstention
47
11,4
Jugements sur les candidats
35
8,5
Intérêt pour la campagne et les élections
33
8
Opinions sur les politiques publiques
26
6,3
Résultats et conséquences souhaités du scrutin
23
5,6
Pronostics, opinions sur les stratégies des partis et analyses du comportement d’autres électeurs
13
3,1
Anticipation présidentielle 2012
8
1,9
Autres
17
4,1
TOTAL
414
100

La mesure de ces thématiques dominantes indique un relatif désintérêt des producteurs de sondages pour de nombreuses facettes du comportement électoral : le sens accordé au scrutin par les électeurs eux-mêmes, leurs positions à l’égard des propositions des candidats, leur appréhension de l’institution régionale, etc. Au regard de la procédure électorale elle-même, les sondages n’ont pas réellement accru l’espace d’expression citoyenne : les questionnements sont demeurés relativement « vagues », rendant les résultats difficilement interprétables.

La faiblesse du gain d’informations sur les attentes des citoyens est tout d’abord d’ordre quantitatif. En effet, à peine 66 questions sur les 414 recensées invitent les électeurs à justifier leur choix électoral, à partir évidemment d’une liste d’items prédéfinis par les concepteurs des questionnaires (cf. tableau n°3 explicité plus loin). Parmi les autres questions amenant les interviewés à « développer » leurs points de vue au-delà des seules intentions de vote, 23 soulèvent le problème de l’intérêt pour ces élections mais aucune n’est suivi d’une demande d’explicitation de ce niveau d’intérêt déclaré. De la même manière, si 14 questions (toutes posées par TNS Sofres) visent à évaluer le bilan de l’exécutif régional sortant, aucune n’est accompagnée d’une demande d’éclaircissement de ce jugement. Le caractère « artefactuel » de telles évaluations est en partie compensée, dans ces mêmes enquêtes de TNS Sofres, par la mesure de la notoriété des différentes têtes de liste, parmi lesquelles figurent généralement le président sortant. Au final, seules 9 questions (dont 5 pour la seule Ile de France) invitent les sondés à se positionner sur des propositions figurant dans certains programmes de campagne…

Tableau n°2 : Thématiques détaillées des questions posées à l’occasion des élections régionales

Mais la faiblesse du gain d’information est également d’ordre qualitatif. En effet, soumettant les sondés à des alternatives restreintes, la plupart des 66 questions relatives aux motivations du comportement électoral permettent difficilement de mettre à jour les raisons du choix et les attentes à l’égard des institutions et des élus. Du fait des redondances évoquées précédemment, ces 66 questions ne renvoient qu’à 16 formulations différentes, elles-mêmes réductibles à 10 interrogations réellement distinctes. Deux d’entre elles dominent largement l’investigation. La première consiste à demander au sondé s’il va voter ou s’il a voté en fonction d’enjeux « régionaux » ou « nationaux » (question posée à 31 reprises…). Qu’entend-il par ces deux termes ? Nul ne le sait puisque le questionnement sur ce point en reste généralement là. Souhaite-t-il indiquer que ses motivations sont plurielles et ne peuvent être réduites à une opposition aussi sommaire ? Il devra cependant trancher ou s’abstenir car une seule réponse n’est possible ! Seules les enquêtes « Jour du vote » d’Opinionway creusent en partie ce chantier puisqu’en fonction de leurs réponses (enjeux régionaux / enjeux nationaux), les sondés peuvent ensuite piocher dans une liste d’items supposés préciser les « domaines » qui ont « le plus compté » au moment de voter. La seconde porte sur un versant plus spécifique du « message » adressé par les électeurs. Dans 18 enquêtes, les interviewés doivent indiquer si leur vote vise à sanctionner ou à soutenir le président de la République et son gouvernement. Une troisième modalité est cependant systématiquement suggérée : l’opinion à l’égard de l’équipe au pouvoir ne pèse pas dans le choix électoral. À nouveau, il ne s’agit pas ici de dire que cette question est en soi peu pertinente mais de souligner qu’à défaut de questionnements supplémentaires sur ce point, les réponses recueillies demeurent faiblement significatives.

Plus généralement, il serait naïf d’imaginer que les entreprises de sondage seraient principalement guidées par le souci d’éclairer les aspirations populaires et / ou d’améliorer la connaissance scientifique des comportements électoraux. Mais dès lors que les sondeurs légitiment publiquement leur activité par la vertu démocratique de leurs productions, il ne paraît pas illégitime de les prendre au mot sur ce point.

Tableau n°3 : Détail des questions relatives aux motivations du vote


Force est de constater, comme l’illustre, si besoin est, le tableau ci dessus, qu’il y a un « léger » hiatus entre le discours des sondeurs et leurs pratiques.

Nicolas Faitak

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