Cela ne résiste pourtant pas à l’examen logique. Plus il est d’abstentionnistes et plus les déclarations d’intentions de vote sont incertaines puisque un nombre élevé de sondés va déclarer être certain de voter et ne pas le faire en définitive. En tout cas un vote supérieur à la « normale » et significatif en ce cas car touchant une proportion importante. D’autre part, on peut se poser des questions sur des « échantillons représentatifs » qui déclarent leur intention de vote en très grande majorité pour une population qui en majorité ne vote pas. Du coup les sondages ajoutent leurs effets à l’abstention.
Un exemple en a été fourni dans la ville de Bordeaux qui avait vu deux candidats très proches l’un de l’autre (une centaine de voix d’écart). La liste d’opposition écologiste et gauche (Pierre Hurmic) l’a emporté sur la liste LR sortante (Nicolas Florian) avec 46,48 % contre 44,12 %. L’abstention de 61,67% a joué un rôle mais elle est à peine supérieure à la moyenne nationale alors qu’il s’agit d’une grande ville où l’abstention a été plus importante. Volet politique, le ralliement du candidat LRM n’a semble-t-il rien apporté. Cela peut se comprendre si l’on considère que cette candidature portait un sens de rupture et qu’elle a pu paraître se contredire en se ralliant à la liste PR au terme d’une période de règne municipal remontant à 1947. Une surprise forcément.
Pourtant, un sondage Ipsos-Sopra Steria publié quelques jours plus tôt par le quotidien régional Sud Ouest et Radio France et France TV avait annoncé une large avance pour la liste LR : « Sondages municipales Sud Ouest : A Bordeaux, Nicolas Florian dans le costume de favori » (Sud-Ouest, 18 juin 2020). Et un commentaire à l’avenant : « Nicolas Florian (LR) allié à LREM creuse l’écart et devance largement l’écologiste Pierre Hurmic ». Il est vrai qu’avec 9 % d’avance dans les intentions de vote, la victoire paraissait acquise et comme le déclara le présumé vaincu et désormais vainqueur, l’affaire « était pliée ». Encore plus surprenant.
A en juger par les résultats selon les bureaux de vote, il semble bien que des voix de droite aient manqué au candidat sortant puisque les scores des bureaux favorables ont été en-dessous de ses attentes. Alors qu’on attend généralement des sondages un effet bandwagon (encourager les présumés vainqueurs à aller en renfort de la victoire), le sondage Sud Ouest semble bien avoir joué à l’inverse en démobilisant les électeurs de la liste sortante moins motivés pour aller voter en période de pandémie. Surtout les électeurs les plus âgés. Sans qu’il semble y avoir une autre explication - celle de l’underdog - ou mobilisation supérieure significative des outsiders. Pourtant le sort de l’élection s’est bien joué sur une mobilisation différentielle des deux camps. Il faut donc en revenir à un effet toujours possible des annonces sondagières surtout si elles ne souffrent pas d’ambiguïté, le journal Sud-Ouest, depuis l’après guerre soutien discret de Jacques Chaban-Delmas puis d’Alain Juppé, a cru rendre un service au maire sortant intronisé par Alain Juppé brutalement parti au Conseil constitutionnel. Au lieu du bandwagon espéré, l’annonce largement diffusée d’une victoire ample et facile a démobilisé le camp sortant. En se référant à l’adage populaire bien connu, une sorte « d’effet » peau de l’ours... (cf. L’effet Johnny...).